Brèche ensoleillée

Paris, 31 janvier 2023, premier après-midi de vrai soleil depuis ce qui semble avoir été des années de grisaille. Paradoxe, je décide pour fêter la lumière de m’enfermer au musée, où je n’ai pas mis les pieds depuis des mois – des mois, vraiment ?

Le retour en France est fidèle à lui-même, jour de grève, klaxons, moteurs pétaradants et cris de mouettes enragées bloquent toute pensée. Il me faut du silence, des odeurs de papier et de cire, moins de monde pour ouvrir à nouveau mon crâne et l’exposer frontalement, à des pigments séchés sur une toile par exemple. Il faut s’y rendre à pied, sur le trajet la première phrase de M Train que je lis en ce moment trottine en moi : Ce n’est pas si facile d’écrire sur rien. Les digressions de Patti Smith résonnent si bien avec le reste.

Mes pas me mènent donc au musée d’Art Moderne, le plus proche. L’artiste Viennois du moment, Oskar Kokoschka, m’accueille avec une moue qui en dit long sur ce qui doit m’attendre. Il ne semble pas lui-même convaincu. Mais je ne suis pas venue pour faire de la critique, je me laisse porter par le sens de la visite, sans attente, le crâne ouvert donc.

De ma déambulation je retiens des détails poétiques qui m’enchantent. Kokoschka – j’adore ce nom qui sonne comme une friandise liquoreuse chocolatée – peignait occasionnellement les murs de son atelier en noir « pour mieux appréhender le contraste des couleurs » sur ses toiles. Contraste que l’on retrouve sur certains murs de l’expo, peints en noirs eux aussi et qui dégagent une magie secrète. Je bloque sur le Paysage hongrois de 1908 dont le ciel chargé pourrait décrocher le cadre ; remarque que sur toutes les toiles ou presque les mains qui tendent l’une vers l’autre ne se touchent jamais ; m’interroge : dirais-je plutôt que les serpentins de bleu-jaune-rouge-vert sur les corps des modèles circulent, s’agitent, gigotent ou bien grouillent ? C’est parce qu’il peint rapidement, par coups glissants. C’est difficile à saisir. L’apogée ? Oskar concevait des « lettres d’amour sous forme d’image » sur éventails, représentant en aquarelle et crayon des scènes intimes de couple. Terriblement poétique. J’en voudrais bien un pour moi-même.

Je regarde longtemps le Paysage des Dolomites (1913). Sans que son style, comme sur les autres toiles, soit tout à fait à mon goût, l’atmosphère qui s’en dégage me plonge dans la fenêtre de cette nature. Je peux quitter le musée, tremper dans le ruisseau, entendre le vent passer en vague sur les sapins et soulever au loin les neiges éternelles, sentir la pluie chaude qui a suivi la tempête sous l’oeil pesant du ciel à soleil blanc. 

Quoi d’autre… j’aime aussi le Marabout de Témacine au regard doux  ; le portrait de Brancusi inachevé ; Les Poissons sur une plage de Djerba (1930) recherchent propriétaire légitime depuis la fin de la guerre. En quittant la dernière salle je me demande quelle pourrait être la couleur de mon aura. Oskar a peint celle du contrebassiste Paul Casals en bleu.

J’ai quitté le monde du silence en milieu urbain pour revenir au brouhaha de manifs, hurlements de piétons sur la chaussée et flics grondants. Ce n’est pas grave, rien ne presse, j’ai construis ma bulle. Mon corps me rentre chez moi tandis que ma tête promène ailleurs. Le soleil est toujours là, il ne tardera pas à repartir. Au moins, il m’aura ouvert une brèche, quelque temps.

Teto Maltesi

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