Pourquoi on crée ?

Cette semaine je regardais un documentaire passionnant sur Joan Mitchell – grande figure de la peinture abstraite américaine. Dès les premières secondes, elle se voyait demander par un.e journaliste « Pourquoi peignez-vous ? Pourquoi créez-vous de cette manière ? » Ce à quoi elle s’est empressée de répondre : « On s’en fout, je le fais, tout simplement. »

Une répartie pareille ça vous marque. J’étais surtout admirative de la simplicité de cette réponse, d’à quel point Joan Mitchell considérait son art avec un premier degré que je ne saurais sûrement pas reproduire. Personnellement, créer – j’entends pour moi écrire – est baigné jusqu’au cou de fantasmes. Certes j’ai besoin d’écrire, et Joan Mitchell le dit elle-même, c’est quelque chose auquel on ne peut pas résister, mais je projette aussi énormément de moi-même, je fais des sacrifices permanents, je me compare, je me contredis. Créer se résume peut-être dans l’acte de faire, mais en découlent des questions, des doutes. Comment cette femme si extraordinaire peut-elle le résumer par « On s’en fout » ?

Je désamorce tout de suite les premières répliques qu’une telle réflexion ferait surgir : en tant que jeune personne n’ayant encore rien accompli et me nourrissant d’espoirs – repas de choix faisant survivre l’art à ses débuts – il est normal que je ne visualise pas mon travail avec le même détachement que la grande Joan Mitchell, déjà reconnue de son propre temps – autant dire une chimère pour une femme artiste de l’époque. Ne croyez pas une fois mon premier ouvrage publié que je ne sortirai pas des « On s’en fout » à tout bout de champs. Mais je m’égare, revenons à la question de départ : pourquoi créer ?

Un peu plus loin dans le documentaire, Joan Mitchell revient sur la question et y apporte une réponse plus concrète : « Je peins pour disparaître ». J’aurais dû m’attendre à ressentir l’épiphanie, au contraire, cette seconde option n’a fait qu’accroître mon sentiment d’opposition. J’ai pensé « Mais moi, j’écris pour apparaître ! » – pas comme on pourrait l’entendre sous un axe de reconnaissance sociale ou de célébrité mais plutôt pour me comprendre, me découvrir, et partager la vie telle que je l’éprouve et la ressens. À quoi bon vivre si ça ne sert à rien d’en parler ? À quoi bon écrire si l’on n’est lu que par soi-même ? Est-ce un sentiment propre à mon art, ou cela marque-t-il deux types d’artistes : ceux qui le font pour apparaître, et ceux pour disparaître ?

Évidemment l’art a de multiples visages, mais ces deux raisons fondamentalement opposées de le faire exister pourraient le redéfinir complètement. Le but de l’artiste est une grande part de la création, non ? C’est d’ailleurs pourquoi on en revient toujours à la même question : pourquoi créer ? Que faire si la réponse divise en deux catégories si fortement distinctes ? Sont-elles réellement sur un pied d’égalité, ou cela rendrait-il une des deux raisons plus valable que l’autre ? Finalement, y a-t-il une bonne raison de créer ?

Heureusement mon travail ici se limite à écrire des chroniques et non à théoriser. Je laisse la mission à d’autres spécialistes qui le feront bien mieux que moi. Je retiens que se poser une question engendre souvent de s’en poser milles autres, et que c’est tout ce qu’on lui souhaite : permettre plusieurs réponses possibles.

Teto Maltesi

Le lien vers le documentaire Arte sur Joan Mitchell

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