Voyage en terre in-cul-nue

Il y a deux jours j’ai été pour la première fois à Bartholomaüs, un centre spa avec piscine, saunas à température variable, saunas fumants parfumés aux huiles essentielles, lumières néons, bains d’eau glacée, terrasses extérieures sous les étoiles, salles de repos et tout le tintouin. Ici à Hambourg, il existe deux endroits de la sorte, où pour une vingtaine d’euros vous passez la journée à vous relaxer le derrière entre dix heures du matin et dix heures du soir. Le tout dans des bâtiment d’après-guerre art déco entièrement rénovés. Autant dire : mon paradis sur terre.

Et justement, puisqu’on parle de derrière, un seul détail venait ternir la promesse d’une expérience au parfum luxueux : en Allemagne, les thermes publics sont mixtes et les maillots de bains interdits partout sauf dans la zone de piscine. J’arrivais donc avec mon bagage de parisienne complexée et pudique, me retrouvant face à des paires de fesses, des pénis à volo, des seins de tous les âges, et l’obligation moi aussi de livrer mon corps au monde, sans prétention, sans célébration quelconque. 

Je vous passe les développements pratiques du type : comment s’insérer dans les minuscules couloirs à porte-manteaux pour y déposer son maillot de bain – passage obligé vers les saunas et douches – en heure de pointe. A ce sujet mes réactions se limitaient à ne croiser le regard de personne, ne pas trop me baisser au moment de me changer pour éviter tout contact de chair humaine et de me glisser dans une serviette de bain avant d’entrer dans les espaces de détente.

Attention, je précise qu’il ne s’agissait pas non plus d’un défilé d’exhibitionnistes. Au contraire, les allemands conservaient une certaine élégance, une forme de dignité qui m’était complètement étrangère. Simplement que de me retrouver avec autant de nudité acceptée et mixte demandait un certain temps d’adaptation.  En France, on n’imaginerait pas de se promener à poil dans des saunas mélangés ou dans des douches partagées, seul, en couple ou en famille. Sans parler du fait qu’on serait incapables de se tenir, avec des conséquences plus ou moins graves, notre culture n’accepterait pas l’idée de poser ses fesses là où d’autres se sont posées à une épaisseur de serviette près. Plus même, j’ai le sentiment que pour nous la nudité  représente une offense, un signe de manque d’hygiène, voire de saleté.

Ceci étant dit, je suis toujours nue sous une serviette de bain prête à entrer dans un des saunas mis à disposition. Mon compagnon – né ici – lui ne comprend pas où est le problème et me regarde avec amusement m’installer au milieu des autres en sueur. Au bout d’un moment, je sens que quelque chose change. Au fond, en restant couverte ici, je me mets bien plus mal à l’aise qu’en me fondant dans la masse. Petit à petit, les serviettes tombent, et en cinq minutes je suis cul nu dans la foule des culs nus.

Pourquoi j’ai envie de parler de ce sujet, autrement que parce que c’est toujours drôle de parler de fesses ? Parce que cette expérience a réellement apporté quelque chose dans mon rapport à mon corps aussi bien qu’à celui des autres. Une fois la première session de sauna terminée, j’étais devenue parfaitement à l’aise avec la nudité – dans cet espace dédié et dans ce contexte particulier – et finalement, les moments qui faisaient revenir ma pudeur étaient ceux où nous devions nous re-changer, ré enfiler nos maillots de bain pour piquer une tête dans la piscine. D’une certaine façon, je ne voyais plus l’intérêt d’être « habillée » dans cet espace, puisque tout le monde était livré.

Encore une fois, relativisons, je ne vais pas non plus vivre nue et partir loin de la civilisation pour camper avec des naturistes, mais pendant ces trois heures, passées ici quelque chose s’est débloqué. La honte de montrer mon corps de femme jeune et de le confronter aux autres – à leurs regards surtout – s’est dissipée. En voyant tous ces corps imparfaits autour de moi évoluer en complète normalité j’étais rassurée, je me sentais plus normale moi aussi, beaucoup plus ancrée dans la réalité que ce qui passe tous les jours dans le feed des réseaux et qui me donne envie de bouffer des carottes jusqu’à la fin de mes jours. Ça m’a fait rire, parce que certains disaient même bonjour à chacun quand ils entraient la bite à l’air se poser dans les vapeurs d’eucalyptus. Pour moi c’était un tableau tellement surréaliste que je ne pouvais m’empêcher de noter chaque petit détail, de parfois fixer sur un corps que je trouvais beau cinq secondes de plus sans me faire remarquer, d’étudier.

Surtout, je suis parvenue une fois la surprise passée à réellement me relaxer, à faire abstraction de ce qui m’entourait, sans me forcer à être dans une vigilance constante de mon corps face à celui des autres, sans me sentir menacée ou inconfortable. Peut-être que le fait de vivre ce moment dans un autre pays, au sein d’une autre culture, a contribué à me sentir moins impliquée, plus distante mentalement comme physiquement, mais ce que je retiens est une véritable expérience de l’acceptation plus douce, plus légère que celle qu’on nous ordonne de mener chaque jour. Comme quoi apprendre à s’accepter, ça ne vient pas toujours de nous, ce n’est pas toujours notre responsabilité, il suffirait juste de l’intégrer un peu plus dans notre éducation et dans notre culture pour ne plus avoir à s’en soucier.

Teto Maltesi

Une réponse à “Voyage en terre in-cul-nue”

  1. Merci ! C’est hilarant et sensible en même temps. Au fur et à mesure du récit on plonge au plus profond de soi et on touche un point profond de nous, intérieurement, la corde sensible est brisée, ça donne envie de plonger dans un océan profond, nu, et de se libérer de tout ce monde de jugement, ça donne envie de voyager, de découvrir d’autres civilisations, de découvrir ce peuple allemand. Belle surprise ! Et qui sommes nous ?

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