Ce soir j’avais prévu toute une soirée dédiée à l’écriture, notamment sur mon expérience en sauna allemand. J’ai refusé une sortie au cinéma, personne à l’horizon dans l’appartement, seulement moi et un bon thé chaud face à ma fenêtre, prête à en découdre. Mais une fois le moment venu, rien.
Non pas que je n’ai rien à dire, au contraire, j’ai beaucoup de choses à dire, plusieurs idées de chroniques à rédiger, et les conditions étaient absolument idéales pour les faire naître. J’avais sous-estimé un facteur essentiel de tout processus créatif : la procrastination.
La procrastination chez moi est un peu comme un chant de sirène qui murmure dans un coin de ma tête déjà bien avant que je me mette à l’ouvrage. Elle va d’abord me mettre en confiance, me susurrer à quel point je vais noircir des pages ce soir, oui, je vais les pondre ces trois chroniques qui n’attendent que de sortir de mon crâne, je vais oeuvrer facile et avec toute l’intensité du monde parce que tout est en moi, prêt à être craché.
La seconde étape, toujours en amont, est de semer une autre graine : oh, ça fait longtemps que tu ne t’es pas refait l’intégral de Sex and the City, et ce n’est pas la première fois que tu y penses, ce serait vraiment sympa de profiter du fait que ton mec bosse pour te faire une soirée Carrie. Et puis, Carrie, elle écrit des chroniques, ça te ferait du bien et ça pourrait te donner des idées.
Les bases de la procrastination sont posées, elle n’a plus qu’à attendre ma réaction, ma réponse au premier coup porté.
Alors moi, qu’est-ce que je fais ? Vous pensez que j’ai lutté, que j’ai assis fermement mon cul sur ma chaise et que j’ai écrit ces trois chroniques en résistance à l’oppresseur du Lendemain ? Oui, d’abord, je me suis posée à mon bureau comme une bonne élève, la tête remplie d’idées, mais une fois face aux premières phrases, plus rien d’autre que le générique de Sex and the City qui chante quelque part là-haut, qui m’appelle. Bon, je vais me laisser tenter, un épisode simplement, ça n’a jamais tué personne.
Je n’ai pas le temps de comprendre ce qui se passe que le thé bien chaud s’est transformé en verre de vin. Un épisode seulement, le temps d’attendre que les sushis arrivent – et avant que vous ne disiez quoi que ce soit, oui, j’ai le droit d’être un cliché. C’est ça, le véritable coût de l’écriture.
Les sushis n’arrivent pas, un deuxième épisode, un troisième, un sixième, et le temps passe vite. Les sushis arrivent, enfin je vais pouvoir arrêter de glander. Enfin, une fois que j’aurais mangé. Un deuxième verre de vin, vraiment, j’adore Carrie.
Vous vous l’auriez compris bien avant, mais moi, c’est là que j’ai su que j’avais perdu.
Ne croyez pas que je n’ai pas conscience en écrivant cette chronique imprévue de m’être fait bernée. J’ai simplement cédé. Cédé à la tentation de repousser des sujets drôles, qui me tiennent à coeur, pour deux verres de vin, une Carrie et seize makis. Et ne croyez pas non plus que l’idée d’écrire cette chronique imprévue était ma propre idée ! Elle m’a été soufflée – chère Elsa, je sais que tu liras cette chronique, et je te remercie – et dans mon désespoir, dans mon sentiment d’échec profond, j’ai adoré cette idée. Pis encore, en la terminant je vais retourner à Sex and the City et au fond de verre de vin qu’il me reste. La suite de mes aventures folles attendra, aujourd’hui, j’ai pris du temps pour moi.
Teto Maltesi