Je n’ai emménagé à Hambourg que très récemment, et je ne connais absolument personne dans mon immeuble. Mes colocataires se chargent de récupérer les colis de ceux qui sont absents, au point que notre hall est devenu un véritable point relai. Mon niveau d’allemand étant proche de la nullité, je me contente quand c’est possible d’observer le défilé de coursiers sonner, délivrer leurs paquets – souvent en quantité démesurée – biper, remercier et laisser la place au suivant.
Il faut savoir que j’arrive de Paris, et d’une famille où Amazon est davantage un lointain cousin que l’on évite comme la peste, que l’on appelle à la dernière minute qu’en cas d’extrême nécessité – comme à l’occasion d’une réunion familiale, de Noël ou d’un anniversaire. Ici, j’en viens à reconnaître certains coursiers, devenus clients régulier de l’escalier central froid et grinçant qui mène à notre porte du premier étage. Je me demande si eux me reconnaissent comme la jeune nana qui répète sans cesse « sorry, I don’t speak german » avec un sourire bancal avant de saisir à pleins bras le tsunami de cartons et d’emballages puants l’humidité.
J’étais très étonnée de constater que parfois ces colis restent chez nous, comme ça, orphelins, pendant plus d’une semaine. Leurs propriétaires les ont-ils oubliés ? Pensent-ils seulement à eux ? Quel est le but de commander autant si ce n’est pas pour se jeter sur son nouveau jouet à la seconde où la notification vous informe que ça y est, vous avez été delivered. Quel est le véritable pic de jouissance de celui qui commande en ligne : le moment de valider l’achat ou de vraiment recevoir le produit ?
Ce matin la tendance s’est inversée, une fois n’est pas coutume j’ai cédé à la tentation et ordonné il y a trois jours la livraison express d’une housse de protection pour mon nouvel ordinateur – celui avec lequel j’écris. Quelque chose que je ne fais tellement jamais que ça m’a procuré une sorte de sentiment monarchique supérieur, à attendre les bras croisées que tout me tombe tout cuit dans les mains par le saint pouvoir de la sonnette d’interphone. Je pensais à mon colis en chemin, je guettais comme une folle la boîte aux lettres et les mails de traçabilité avec une faim incontrôlable. En auteure qui se respecte, je suis très souvent terrée à la maison, en jogging à prendre des notes entre le bureau et le canapé. Il n’y avait donc pas de risque de manquer mon coursier. Mais chacun sait que même dans les petites choses, rien ne se passe jamais comme prévu : ainsi, ce matin, la seule matinée où je n’étais pas chez moi, je reçois la fameuse notification. Mon bien est arrivé.
J’ai le coeur qui bat vite. Une fois rentrée j’ai beau chercher, pas de colis, pas de coloc non plus pour avoir réceptionné le colis. Le cycle s’est inversé, un de mes voisins à dû le récupérer. Maintenant que faire ? Sonner à toutes les portes comme une maniaque jusqu’à dénicher mon précieux, ou la jouer détachée et attendre ce soir que quelqu’un se manifeste pour le retrouver à ma place ? Non messieurs, non mesdames, je ne compte pas divulguer que mon rapport à la consommation est naturellement régit par les pulsions à la limite du maladif. Peut-être qu’ainsi je ne verrai jamais ma housse d’ordinateur, au moins je ne me serai pas soumise aux dérives du système capitaliste.
Teto Maltesi