Expo : Matisse, comme un roman

Hier, je me suis rendue à l’exposition Matisse, comme un roman, qui a lieu en ce moment à Paris, au Centre George Pompidou. Vu le climat ambiant actuel, le couvre-feu, la fin du monde et tout le tintouin, j’avais un réel besoin de beau et d’optimisme. Matisse étant un artiste que j’aime profondément pour ces deux aspects, mes attentes étaient grandes à son égard.

Henri ne m’aura jamais autant plu.

L’exposition Matisse comme un roman s’appuie sur le livre Henri Matisse, un roman d’Aragon publié en 1998. L’auteur et l’artiste auront effectivement la chance de se rencontrer, et ce sera tout simplement bouleversant, surtout pour Aragon qui en accouchera deux livres d’art sur Henri en reprenant l’ensemble de son travail.

«Ceci est un roman, c’est-à-dire un langage imaginé pour expliquer l’activité singulière à quoi s’adonne un peintre ou un sculpteur, s’il faut appeler de leur nom commun ces aventuriers de la pierre ou de la toile, dont l’art est précisément ce qui échappe aux explications de texte.»

Aragon.

Y’a pas à dire, ça claque.

On ne va pas passer par quatre chemins, Matisse incarne l’art moderne et parcourt l’ensemble de ses courants majeurs, du néo-impressionisme à l’art abstrait. Il est le voyageur qui traversera ces mouvements dans une quête de lumière pure et absolue.

Quand Matisse était l’élève de Gustave Moreau, ce dernier lui dit qu’il allait révolutionner son art en le simplifiant. On rétorquera à ce commentaire que le simplifier oui, mais tout en incarnant des notions de beauté et d’identité plus complexes que ses prédécesseurs, et ce dans chacune de ses créations.

Cette exposition est une occasion pour moi de vous montrer combien je porte Henri Matisse dans mon cœur. Dans cet article, je souhaite revenir sur son Œuvre et ses codes principaux à travers les toiles que j’ai préférées et que vous pouvez toutes retrouver dans l’exposition. Vous pourrez enfin vous la péter dans les dîners mondains. Ne me remerciez pas.

***

Luxe calme et volupté, 1904

On commence par une œuvre célébrissime de Matisse. Elle fut réalisée lorsque l’artiste néo-impressionniste Paul Signac (dont je vous parlerai probablement un jour parce qu’il vaut le détour) invite Henri à Saint-Tropez pour peindre et kiffer la life sous le soleil.

Luxe, calme et volupté est une toile qui pourrait être identifiée par les multiples noms complexes de divers mouvements picturaux comme le divisionnisme, le pointillisme et compagnie. Pour vous simplifier la vie, je vous dirais simplement que cette toile est emblématique car elle démontre dès le début du vingtième siècle l’attrait d’Henri pour l’étude de la lumière.

L’œuvre apparaît comme fusion de percées de lumière et d’éclatement des couleurs. Deux éléments fondamentaux pour le peintre.

Enfin, les plus savants d’entre vous l’auront peut-être noté, mais Luxe calme et volupté n’est autre que le refrain du poème L’Invitation au voyage, des Fleurs du mal de Baudelaire. Lire ce poème c’est comprendre aussi le point de départ de l’œuvre de matisse.

Et comme je suis une personne de délices, je vous ai mis le poème juste ci-dessous afin que vous puissiez vous en délecter :

L’invitation au voyage

Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l’âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
– Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Quelle merveille. On enchaîne ?

Intérieur à Collioure, 1905

Dans cette toile d’une beauté qui me coupe personnellement le souffle on retrouve la figure de la fenêtre, thème ULTRA récurrent chez Matisse. En effet, c’est un outil sacré qui lui permet de faire circuler la lumière et de jouer ainsi entre l’intérieur et l’extérieur de la scène.

Un autre élément à citer est le fait que l’artiste se concentre davantage sur des aplats de couleurs (on est loin des petits traits colorés tous beaux tous mignons). Cet usage de la couleur non pas pour être rendue fidèle à une situation réaliste mais plutôt pour transmettre une expression est fauviste.

En gros, on s’en fiche du vrai, si on a envie de faire un sol et un lit multicolore pour exprimer une rêverie, un sentiment plus abstrait, on le fait. C’est ça le fauvisme.

Et si vous avez bien fait vos devoirs, un autre artiste qui jouera plus tard entre l’intérieur et l’extérieur n’est nul autre qu’Edward Hopper.

Nu debout, 1907

Passons au Nu debout. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi j’aurai pas vraiment envie qu’elle me donne une tape dans le dos. Canon d’accord, mais carrure assurément.

Toile aux airs carrément cubiste effectuée la même année que Les Demoiselles d’Avignon de Picasso, Matisse y laisse davantage place au noir comme couleur centrale (par cette action il se détache des codes impressionnistes et fauvistes qui vénèrent davantage les couleurs primaires) pour créer une nouvelle forme de luminosité.

Le luxe, 1907

Le Luxe est un monument. C’est une recherche d’un beau esthétique et à la fois primitif. Comparé au Nu debout, on constate un délaissement des angles cubistes rigoureux pour se diriger vers des corps plus rond, plus doux. La lumière est plus nuancée et idem pour les couleurs qui entrent en harmonie. C’est le raffinement dans la grandeur.

Nu assis, 1907

Encore une fois avec ce Nu assis, on ressent le désir d’exploration du peintre. Matisse fait naître un sujet central, entouré de couleurs. On sublime, on tranche, pour faire surgir des émotions avant de rechercher une explication.

Porte fenêtre à Collioure, 1914

Je ne sais pas si vous vous rendez compte à quel point cette œuvre est moderne. Encore une fois, le thème de la fenêtre est un moyen de nous questionner… mais différemment cette fois-ci. D’où vient cette obscurité ? Que nous dit-elle ?

C’est tout le débat. Et il est notamment rendu possible par l’apparition d’un autre mouvement artistique du XXème siècle : le mouvement expressionniste, une autre méthode de projection du subjectif pour déformer le réel et inspirer une réaction émotionnelle. On n’est plus dans la nécessité de faire gicler les couleurs avec acharnement, mais eho, on a quand même des choses à dire.

Autrement, cette œuvre m’a immédiatement évoqué les toiles de Rothko, qui arrivera plus tard, et précurseur de l’abstraction.

Odalisque à la culotte grise, 1926

Vous commencez à le comprendre, toute sa vie Matisse cherche à capturer la lumière et sa pureté. D’abord dans le sud, puis en orient pour finir plus tard dans les îles. Après ses voyages en Algérie et Maroc, son regard est transformé.

On le ressentira beaucoup dans ses toiles. La lumière est plus nette, les couleurs plus chaleureuses et vives (les tapis rouges et les fleurs deviennent également des objets récurrents dans les toiles du peintre). On note des compositions plus décoratives, l’apparition presque abusive de motifs qui font vivre la toile.

Grande odalisque à la culotte bayadère, 1925

Un autre coup de foudre pour moi est cette femme sublime. Elle me permet de souligner un autre aspect particulier du travail de Matisse : le fait qu’il se concentre plutôt sur les visages que sur les natures mortes ou les paysages.

Pour rentrer un peu plus dans les détails, on dit (enfin les experts disent parce que moi je l’ai écouté dans un podcast) que les visages de Matisse sont bergsoniens, c’est-à-dire qu’ils incarnent l’être dans son ensemble (passé, présent et futur) et ne se limitent pas à une représentation purement esthétique. Matisse veut capturer l’essence de ses modèles.

Nymphe dans la forêt, 1938-1943

Un moment qui m’a le plus plu lors de l’expo était cette série de grandes toiles. En les réalisant, Matisse souhaitait en partie aller à contre-courant des plus petits formats, plus « classiques » qu’il avait l’habitude de faire. Il s’est lâché.

Cette Nymphe dans la forêt me plaît et me parle. C’est une immense fenêtre à travers laquelle on peut apercevoir une scène mythologique. A l’allure de tapisserie moderne, elle témoigne d’un beau surhumain, absolu, naturel transmis par un blanc toujours plus lumineux et des couleurs accueillantes.

Intérieur à la fougère noire, 1948

Avant de passer à une seconde époque du travail de Matisse, j’ai envie de vous montrer cette toile qui fait à mon sens une belle synthèse de tout ce dont nous avons pu parler précédemment. On y retrouve lumières noire et blanche, les couleurs vives et d’autres plus subtiles comme sur la robe du personnage. On peut difficilement oublier de mentionner les motifs et encore une fois, une fenêtre.

On peut anticiper un point qui sera présent dans la partie abstraite du travail de Matisse : tout les éléments sont sur un même plan pour renforcer les aplats (la nana se fait littéralement embrocher le genoux et personne ne s’en inquiète).

Jazz, 1947

Cette œuvre fait partie de l’ouvrage Jazz, que Matisse va publier en 1947. Le livre marque le début d’une nouvelle technique caractérisant l’abstraction pure de Matisse : le découpage à la gouache dans du papier peint uniformément au préalable.

Cette technique permet à Matisse de dessiner directement la couleur sans chercher à la manipuler pour créer une profondeur, des nuances ou des différences de plans : aboutir à une véritable pureté plastique.

Nu bleu IV, 1952

Comment ne pas citer la série des nus bleus, œuvres emblématiques de Matisse. Je voulais mon montrer mon favori de la série, le plus beau, le plus raffiné, le plus élégant. Je n’ai rien de plus à ajouter, mais encore une fois quelle beauté.

Etude pour les vitraux de la Chapelle de Vence

Nous terminons cette sélection avec un témoin de la consécration du travail de Matisse sur la lumière et les couleurs : ses travaux et notamment ses vitraux destinés à la Chapelle de Vence. Grâce à ce projet, l’artiste y verra l’occasion de faire passer la lumière naturelle et pure à travers ses propres couleurs, pour éclairer le lieu assombri de la Chapelle de Vence.

Croyances spirituelles ou pas, le projet est de loin un accomplissement pour l’artiste d’une symbolique immensément forte.

***

Cet article est terminé ! J’espère de tout cœur qu’il vous aura plu. Si vous voulez découvrir Matisse, le podcast du Centre Pompidou et France Culture lui ont consacré des émissions très complètes.

Si vous allez voir l’expo ou que vous y êtes allé, je serai ravie d’en parler avec vous en commentaires ou sur instagram !

A très bientôt pour un nouvel article.

Eloïse

4 réponses à “Expo : Matisse, comme un roman”

  1. J’adore ton article. Tu as fait de très beaux choix dans l’œuvre de Matisse et je croyais bien le connaître mais non ! Je découvre d’autres œuvres magnifiques. J’aime la chronologie qui se déroule le long de la lecture, toujours aussi passionnante et drôle à la fois. Bravo pour ta belle affiche aussi. Merci Eloïse.

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  2. Ce qui est chouette avec ton écriture c’est que tu nous partages et transmets ton optimisme ! Et ça donne l’impression que tout devient claire pour nous 😊 merci pour ça ! Grâce à toi je me sens plus « proche » de ces artistes que j’avais l’impression de ne pas connaître assez bien !

    Aimé par 1 personne

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