Bonjour ! Vous allez bien ? Moi je suis au bout du roul’ mais sinon ça baigne. Et vu que je suis une guerrière, je vous propose le deuxième épisode de Littérart. Pour lire le premier qui parle de Balzac et Chagall, c’est juste ici.
Les invités d’aujourd’hui ne sont rien d’autre que deux grands artistes témoins de leur siècle, usant de la prose, de la théâtralité de l’humanité et de la mise en scène pour capturer l’homme et sa faiblesse dans son quotidien, dans le but de rendre sa routine morbide et vide de sens, j’ai nommé Jean-Paul Sartre et Edward Hopper ! (tonnerre d’applaudissement, la salle est en délire les femmes arrachent leurs vêtem… quoi ? non non, nous sommes civilisés ici je vous en prie).
Sartre et Hopper donc, qui durant leurs vies ont tentés de démontrer une vraie beauté dans la solitude des hommes et leurs rapports à l’autre, de s’engager pour dénoncer une société à la dérive et destinée à survivre plutôt qu’à vivre. L’oeuvre de Sartre que j’ai décidé d’aborder n’est autre que son chef-d’oeuvre Huis Clos, un autre de mes ouvrages favoris et une pièce de théâtre fabuleuse. Face à lui, le tableau moins célèbre Fenêtres la nuit de Hopper est ma toile favorite de l’artiste. Tant dans l’angle de vue qu’elle prend et de l’immersion voyeuriste qu’elle permet. Autant dans la forme que dans le fond, je trouve que ces deux hommes se répondent et communiquent une vision de la société similaire. Sans plus tarder et parce que je vous sens assez impatient, je vous laisse découvrir ces deux œuvres si particulières.
Huis clos – Jean-Paul Sartre (1944)
Contexte
Huis Clos est une pièce de théâtre écrite par Sartre en 1944. Elle expose la dialectique de la liberté et démontre qu’être, c’est lutter contre son aspiration au non-être. En plus c’est la guerre, et le fascisme, on aime bof bof donc ça remet les point sur les i de l’humanité qui fait de la merde.
Pour situer le contexte de la création de Huis Clos d’un point de vue plus littéraire et philosophique, j’ai décidé de laisser Sartre s’en occuper tant son analyse de sa propre pensée et de la construction de son oeuvre résument tout. Je vais donc simuler une interview où je m’adresse tout bonnement à ce cher monsieur de génie. Appréciez.
Alors JP, quel est, au fond, le véritable rôle de votre célèbre pièce de théâtre Huis Clos ? Quel est son message ?
Ce que j’ai voulu indiquer, c’est précisément que beaucoup de gens sont encroûtés dans une série d’habitudes, de coutumes, qu’ils ont sur eux des jugements dont ils souffrent mais qu’ils ne cherchent même pas à changer. Et que ces gens-là sont comme morts. En ce sens qu’ils ne peuvent briser le cadre de leurs soucis, de leurs préoccupations et de leurs coutumes; et qu’ils restent ainsi victimes souvent des jugements qu’on a portés sur eux.
Ok Jean-Paul, je te suis. Mais d’où peut bien venir une idée aussi tordue que celle de Huis Clos ?
Quand on écrit une pièce, il y a toujours des causes occasionnelles et des soucis profonds. La cause occasionnelle c’est que, au moment où j’ai écrit Huis Clos, vers 1943 et début 44, j’avais trois amis et je voulais qu’ils jouent une pièce, une pièce de moi, sans avantager aucun d’eux. C’est à dire que je voulais qu’ils restent ensemble tout le temps sur la scène. Parce que je me disais, s’il y en a un qui s’en va, il pensera que les autres ont un meilleur rôle au moment où il s’en va. Je voulais donc les garder ensemble. Et je me suis dit, comment peut-on mettre ensemble trois personnes sans jamais faire sortir l’une d’elles et les garder sur la scène jusqu’au bout comme pour l’éternité. C’est là que m’est venue l’idée de les mettre en enfer et de les faire chacun le bourreau des deux autres. Telle est la cause occasionnelle.
Ah. Bon.
Bah un peu déprimant. Et est-ce que vous pouvez expliquer un peu le sens le votre célèbre citation « l’enfer, c’est les autres » ? Parce que j’ai l’impression que personne n’arrive jamais vraiment à l’expliquer.
Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l’autre ne peut-être que l’enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont au fond ce qu’il y a de plus important en nous-mêmes pour notre propre connaissance de nous-mêmes.
Eh bah niquel. On passe au résumé de l’histoire ?
L’Histoire en quelques mots

Huis clos présente quatre personnages. Le premier est un garçon d’étage dont on ne connaît pas le nom et qui intervient au début de la pièce. Il va introduire dans un salon les trois autres protagonistes et les y enfermer. Il est le seul membre extérieur de la salle et qui arrive à en sortir, probablement le premier bourreau des trois autres qui par la suite, seront chacun le bourreau de l’autre. On va apprendre qu’ils sont tous morts et que le fameux salon n’est autre que l’Enfer. On part sur une ambiance sucrée.
Les trois autres protagonistes donc sont morts. Garcin est journaliste. Il a été fusillé pour avoir été fidèle au pacifisme et se prend clairement pour un ouf alors qu’il est vicieux et perfide. La seconde protagoniste et bourreau de Garcin, Inès, est morte asphyxiée au gaz après avoir détruit le couple de sa meilleure amie dont elle était probablement amoureuse. Enfin, et comme si ça ne suffisait pas à nous donner envie de nous flinguer comme ça, Estelle débarque. Estelle était la femme d’un homme très riche, elle a fait des cochonneries avec un jeune homme et a tué un gosse. Elle est morte d’une pneumonie.
Ces trois personnages vont, au cours de la pièce, se livrer un combat sans merci en tentant de comprendre la relation entre la vie et la mort, leur responsabilité, leurs actes et leur damnation. Il vont bieeeeen être de mauvaise foi sur toute la ligne et se rendre finalement compte qu’ils sont bloqués ensembles pour l’éternité, à se torturer mutuellement sous le regard de chacun d’eux. Ils vont tenter de s’ignorer, en vain car la seule présence de son bourreau est insupportable. Et vu qu’ils sont pas fut’ fut’, Estelle va même tenter de poignarder Inès, sans succès puisqu’ils sont déjà bien morts et donc immortels.
Dans Huis Clos, on va retrouver les grands thèmes « sartriens » comme la dépendance de l’autre pour se définir et la critique de la religion. On va développer cela dès maintenant dans la bio de Sartre.
Sartre, c’est qui ?

Jean-Paul Sartre est né le 21 juin 1905 à Paris. Il est écrivain, philosophe, romancier, essayiste et homme de théâtre. Ses petits surnoms sont « intellectuel engagé« , « témoin de son siècle » ou encore « homme-siècle« , comme Victor Hugo. Si ça c’est pas méga badass, je sais pas ce qu’il vous faut.
Il va grandir dans une grande solitude. Son père va mourir lorsqu’il est jeune et Sartre va se plonger dans les livres. Ces auteurs de référence sont Jules Vernes et Michel Zévaco. Plus tard, on dira du roman sartrien qu’il rassemble le « grotesque sublime » d’Hugo et le « grotesque triste » de Flaubert.
Dans les années 1920, Sartre va se cultiver un max à Normal Sup’ et travailler son autodérision. Ses potes de l’époque sont Raymond Aaron et Merleau Ponty. Dans les années 1930, il va rencontrer Simone de Beauvoir, sa compagne et complice d’une vie qu’il surnommera Castor. Moyen sexy, mais ça ne les empêchera pas de s’aimer tout en gardant leur liberté et ça, c’est beau. Il publie en 1938 son premier roman chef-d’oeuvre, La Nausée, qui traite du vertige de l’existence et de la conscience :
« … Je suis, j’existe, je pense, donc je ballotte, je suis, l’existence est une chute tombée, tombera pas, tombera, le doigt gratte à la lucarne, l’existence est une imperfection. »
Toujours en 1938, Sartre publie Le Mur, un recueil de cinq nouvelles dont L’enfance d’un chef, où apparaît pour la première fois le « salaud« , un des concepts de la philosophie sartrienne. Le salaud est le conformiste, le nationaliste, le collaborateur, celui dont la vie est bien rangée et qui fait preuve d’une paresse de la pensée, face à laquelle la volonté doit se dresser sans cesse. On est pas fan du salaud en résumé. Grâce à ce salaud, Sartre démontre la « néantisation de l’homme » (on rappelle que c’est la guerre, qu’il y a le fascisme qui fait bien chier tout le monde). Il va d’ailleurs participer à un groupe de résistance intellectuel pendant la guerre et définir la littérature comme le premier mode d’expression tout en affirmant la mort de Dieu, « père incertain ».
La littérature « est un trou dans l’être par où les êtres disparaissent »
A la même époque, il publie son ouvrage philosophique L’Être et le néant (1943) et Huis Clos (1944). Les concepts sartriens comme le néant de l’être, la liberté ou encore l’obéissance se développent et surtout après la guerre ou Sartre deviendra véritablement engagé :
On n’écrit pas pour des esclaves. L’art de la prose est solidaire du seul régime où la prose garde un sens : la démocratie. Quand l’une est menacée, l’autre l’est aussi. Et ce n’est pas assez que de les défendre par la plume. Un jour vient où la plume est contrainte de s’arrêter, et il faut alors que l’écrivain prenne les armes.
En 1945, il va fonder la revue littéraire Temps Modernes où les premiers mots du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir vont faire leur apparition. Il va devenir un véritable homme de médias et fonder Libération. Et puisqu’il est assez culotté, il va refuser son Prix Nobel de Littérature en 1964. Un an auparavant, il aura écrit Les Mots, son oeuvre la plus autobiographique. Il s’éteint le 15 avril 1980. On se souviendra de lui comme boulimique d’écriture, homme-bibliothèque et homme de tous les mots.
Fenêtres la nuit – Edward Hopper (1928)

Contexte
Fenêtres la nuit est un tableau réalisé à la période où Hopper commence à être connu et reconnu. Il s’inscrit quelques années après la réalisation de son premier chef-d’oeuvre Maison au bord de la voie ferrée (1925). Elle est peu connue et pourtant assez emblématique du travail de Hopper car elle aborde tous les thèmes majeurs de l’artiste comme la vie urbaine, l’architecture, la société américaine et enfin la solitude.
L’Oeuvre en quelques mots
Fenêtres la nuit d’Edward Hopper (de son nom original Night Windows) est une huile sur toile réalisée en 1928. Ses dimensions sont de 73,7 x 86,4 et elle est actuellement exposée au MoMa de New York.
Comme je l’ai dit précédemment, cette peinture aborde les sujets majeurs de Hopper tels que la ville, les américains et leur solitude. Il est très important de mentionner que le jeu entre l’extérieur et l’intérieur est un thème majeur de l’artiste et qu’il est très visible dans cette oeuvre : l’observateur extérieur dans l’obscurité regarde la scène se jouant à l’intérieur, éclairé, de l’appartement de ce qu’on suppose être une femme (mais en fait on en sait rien). On remarque également que c’est le rideau bleu qui, s’échappant par la fenêtre ouverte, crée le lien entre ces deux univers. Ce jeu extérieur-intérieur permet également de faire naître les nombreux contrastes présents dans les tableaux de Hopper et dont il se sert pour créer ces dimensions multiples.
Certaines personnes peuvent se sentir inconfortables devant ce tableau car il leur impose un rôle très voyeuriste dans cette mise en scène qui isole totalement le personnage dans sa chambre. Cet isolement et le fait que la personne représentée nous tourne le dos en ignorant notre présence augmente notre pouvoir de spectateur sur elle. De plus, on entre directement dans son intimité, illustrée notamment par le lit et le fait que la personne soit partiellement dénudée après sa douche, du moins on le devine.
J’aime particulièrement cette oeuvre pour deux raisons. D’une part, elle révèle notre curiosité humaine pouvant être si grossière, voyeuriste et notre fascination pour l’observation de l’autre à son insu. D’autre part, parce qu’elle nous rend, nous humains, si insignifiants et vulnérables. La dureté de la peinture de Hopper n’empêche pas à mon sens une grande sensibilité humaine et une fragilité pour laquelle on ressent immédiatement de l’empathie envers les personnages qui sont peints.
Hopper, c’est qui ?

Edward Hopper est né le 22 juillet 1882 dans l’état de New York. Il est peintre et graveur américain, représentant du courant réaliste aux Etats-Unis. Il va notamment dépeindre les classes moyennes américaines et mettre en lumière la nostalgie d’une Amérique passée qui, dans sa modernité, rentre en conflit avec la nature. Hopper va également beaucoup s’exprimer sur les relations humaines de plus en plus effacées à travers des personnages isolés et mélancoliques. Encore une fois, ça donne un peu envie de se flinguer. Mais bon, l’art c’est tellement beau.
Hopper intègre la New York School of Art en 1990 et va côtoyer des artistes comme Walter Pach ou Rockwell Kent qui sont assimilés à l’Ash Can School, un style de peinture réaliste américain qui signifie littéralement « l’école de la poubelle » (autant vous dire que ça donne des infos sur leur perception de la société de l’époque).
Il va séjourner à Paris entre 1906 et 1910, va se faire une petite visite de l’Europe au calme. D’ailleurs, il commence réellement à peindre à cette période. Il aime beaucoup les impressionnistes (en même temps, qui ne les aime pas) et les peintres néerlandais comme Vermeer et Rembrandt pour leur réalisme. Bref, la culture européenne, c’est son dada. Il dira même :
« Tout m’a paru atrocement cru et grossier à mon retour [en Amérique]. Il m’a fallu des années pour me remettre de l’Europe. »
Surtout qu’à son retour à NY en 1910, ce cher Edward va bosser en tant que dessinateur publicitaire et il aime pas vraiment cela. Il va continuer de peindre et se diriger vers des paysages, de grands à-plats très contrastés. Dans ces premières toiles, l‘espèce humaine est réduite à néant. Si elle est présenté au départ, ce sont principalement des femmes qui semblent comme des actrices sur la scène d’un film. Il commence à apparaître dans quelques expositions collectives puis faire sa premier expo perso en 1920 au Whitney Studio Club. La Maison au bord de la voie ferrée de 1925, son premier chef-d’oeuvre donc, va cinq années plus tard être acquise par la collection du MoMa, qui lui consacrera une première rétrospective en 1933. Il est élu membre de l’Académie américaine des arts et des lettres en 1945 et expose en 1952 à la Biennale de Venise pour la première fois. Si vous voulez comprendre ce qu’est une Biennale, merci de cliquer juste ici. A cette période (donc dans les années 1950-1965), il accorde davantage de place aux individus, leur donne plus de profondeur par leurs interactions et leurs relations entre eux. Il conserve néanmoins cette atmosphère proche de la mise en scène qui vient brouiller les pistes de son réalisme.
Edward sera également titré en tant que Doctor of Fine Arts de l’Institut d’art de Chicago et meurt le 15 mai 1967.
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J’espère que cet article vous a plu. J’ai pris un grand plaisir à vous parler de ces deux artistes aujourd’hui car ils pointent du doigt aussi bien notre insignifiance, notre cruauté que notre sensibilité et notre besoin terrible de l’autre, dans le but de combler le vide de notre existence. Je vous invite à partager votre ressenti en commentaires ou à me rejoindre sur instagram @pepperdwyer.
Enfin, pour clôturer ce second épisode de Littérart en beauté, je vous propose mes deux citations favorites de Sartre et Hopper, qui je l’espère vous feront réfléchir et qui à mon sens démontrent si bien dans quels mesure ces deux hommes se complètent si bien.
Quel que soit le cercle d’enfer dans lequel nous vivons, je pense que nous sommes libres de le briser. Et si les gens ne le brisent pas, c’est encore librement qu’ils y restent, de sorte qu’ils se mettent librement en enfer.
Jean-Paul Sartre
Si vous pouviez le dire avec des mots, il n’y aurait aucune raison de le peindre.
Edward Hopper
A très vite.
Pepper.
2 réponses à “Littérart #2 : Sartre & Hopper”
[…] Et si vous avez bien fait vos devoirs, un autre artiste qui jouera plus tard entre l’intérieur et l’extérieur n’est nul autre qu’Edward Hopper. […]
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[…] avec Sonate à trois en 1957 (adapté du Huis clos de Sartre dont on parle dans un super article juste ici), son langage innovant basé sur la place majeure du corps humain dans ses compositions. […]
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