Donner le son du mouvement, avec Tous danseurs

Bonjour à tous ! Quel plaisir immense de vous retrouver après 3 mois sans écrire. Entre-temps, et malgré la météo la plus pourrave de la décennie, le monde s’est éclairé : réouverture des musées, des terrasses, des théâtres… une folie. Les spectacles fleurissent de part en part, les visages se découvrent dans la rue et rien que ça, c’est émouvant.

Pour célébrer le retour des articles et d’une vie décente pour vous comme pour moi, j’avais envie de parler de l’art qui à mes yeux éclot particulièrement depuis deux ans. L’art qui rassemble peut-être le plus, l’art du corps comme la toile primaire d’une histoire qu’on raconte en musique : la danse.

Parler de danse signifiait pour moi l’envie de parler de toutes les danses, de tous les danseurs merveilleux de ce monde, professionnels comme amateurs. La danse est l’art accessible à tous, pour tous, il y a l’étoile de l’opéra et le boogie-woogueur du dimanche devant son miroir de salle de bain, et finalement c’est ça que je préfère.

Finalement, il est apparu comme une évidence que j’allais en parler avec celle qui fait résonner la danse sous toutes ses coutures, dans un podcast simplement génial : Dorothée, fondatrice de Tous danseurs. Dorothée est passionnée, amoureuse de la danse, de ses acteurs, et elle en parle si bien. On a parlé du podcast bien sûr, de cette aventure qu’elle vit depuis plus d’un an maintenant, mais aussi de la place de la danse dans nos vies, dans notre société et de son rapport au Beau. Sans plus attendre, je vous laisse découvrir notre échange. J’espère qu’il saura faire résonner en vous cette pulsation, ce désir physique, cette admiration envers les artisans du corps.

Dorothée de Cabissole, crédit @violettecastex

La Beautaniste : Bonjour Dorothée ! Tout d’abord, pourrais-tu te présenter ?

Dorothée DC : Bonjour Eloïse, je suis Dorothée, Dorothée de Cabissole, fondatrice du podcast Tous danseurs, à l’aube de ma deuxième vie professionnelle.

LB : Qu’est-ce que c’est que cette deuxième vie professionnelle ?

D : Après un long parcours avec un job assez conventionnel en marketing, j’ai décidé de changer de vie, d’entreprendre. Je me suis dis j’en ai assez, je vais en profiter. Tout de suite, quelque chose est arrivé, que j’allais entreprendre autour de la danse. La danse m’a choisie à ce moment-là, elle a toujours été dans ma vie mais à ce moment-là c’est devenu comme une évidence : je vais me mettre au service de la danse. 

Ce média je l’ai créé assez rapidement, au bout d’un an, Tous danseurs, avec l’idée d’aller à la rencontre des danseurs, de faire rayonner toutes les danses, de donner la parole aux danseurs, d’entendre des paroles rares. Il n’y avait pas de podcast dédié à la danse, je me dis qu’il y a peut-être quelque chose à faire. Après c’était un pari, mettre du son sur du mouvement, sur les danseurs. On les voit danser, mais les faire parler ? Je suis partie avec cette idée-là, en me disant « On verra bien ce qui se passe. » et j’ai lancé le podcast tout début 2020, donc ça fait pile un an et demi qu’il existe.

Bizarrement je me suis dit « Je vais sortir un épisode par semaine », comme un chapelet à égrainer, parce que j’avais l’impression que c’était important de créer un rendez-vous, de créer de la récurrence. Je voulais un voyage, et faire un voyage c’est créer des rendez-vous. Donner la parole à toutes les danses c’est aussi faire ça rapidement dans un temps assez concentré, et donc je suis partie avec cette idée-là, que pour l’instant je maintiens depuis un an et demi. Je ne sais pas où ça va m’emmener, mais je le fais avec beaucoup de passion.

LB : Le podcast Tous danseurs c’est un podcast qui donne la parole aux personnes du monde de la danse ?

D : Aux personnes du monde de la danse, pas forcément que les danseurs. Déjà dans les danseurs ça peut être les talents émergents, ça peut être aussi les paroles inspirantes de danseurs qui sont vraiment installés. J’aime bien passer du danseur peu connu à quelqu’un qui est très établi. Je trouve que ce grand-écart est intéressant ! J’ai aussi envie de plus en plus mettre en lumière les gens qui travaillent au service de la danse. Il n’y a pas que des danseurs même si c’est le cœur du dispositif, les danseurs, les chorégraphes, les danseurs interprètes… mais j’ai aussi interrogé des réalisateurs qui adorent filmer la danse, des photographes de la danse, des programmateurs. C’est cette idée-là, de mettre des mots sur du mouvement, décloisonner les danses. J’avais envie de retrouver sur un même médium toutes les danses, et qu’on en parle finalement de la même manière.

LB : Oui, c’est ça qui est très enrichissant justement. Et puis les mentalités ne sont pas si éloignées finalement.

D : Non parce que ce tu retrouves d’une interview à l’autre, c’est une passion énorme. Ce sont tous des gens qui ont fait de leur passion leur métier, et c’est peut-être ce que je cherchais en faisant ce voyage, d’aller à la rencontre des gens qui vivent de leur passion, même si ce n’est pas toujours simple. Qu’ils fassent du krump ou de la danse classique, qu’ils soient issus du ballet ou d’un crew de hip-hop, ils mettent leur cœur sur la table. Quand ils essayent de mettre des mots sur les émotions qu’ils ressentent quand ils dansent, tu retrouves beaucoup de convergences, et c’est ce que je trouve formidable. Dans les premiers épisodes, je posais beaucoup de questions sur l’émotion du danseur, je crois que j’avais envie de capter ça, d’où vient la magie, pour en absorber moi aussi un petit bout.

LB : C’est facile de faire parler un danseur ?

D : Je pensais que c’était difficile et finalement c’est très facile. Je fais un job facile en fait (rires) ! Non mais quand je te disais que c’était un pari, on sait que les danseurs savent très bien danser mais est-ce que ce sont de bons orateurs ? Parce que tenir 30 minutes, avoir envie de prendre la parole sur un sujet ce n’est pas forcément à la portée de tout le monde, sans parler forcément des danseurs. Et malgré tout, j’ai remarqué que c’étaient de formidables orateurs. J’en suis arrivée à la conclusion qui est la suivante : ils savent très bien parler de leur art parce qu’ils sont amoureux de leur art. Ils sont habités par ce qu’ils font. Et c’est pour ça qu’ils savent si bien en parler.

Et moi… je me considère comme un accoucheur. Je suis là pour les écouter, pour recueillir leur parole, pour faire quelque chose de positif, de bienveillant. J’essaye de leur faire comprendre qu’on est là pour leur faire passer un bon moment ensemble, qui sera le plus représentatif de ce qu’ils sont aujourd’hui, de tout le chemin qu’ils ont pu accomplir, et moi je suis là juste pour enregistrer ces témoignages qui sont des parcours de vie, avec l’idée que ça va inspirer des personnes.

LB : Tu penses que la danse occupe quelle place aujourd’hui, dans nos vies, dans notre société ?

D : Je ne suis pas experte, mais je vais tâcher de reprendre leurs mots, les témoignages que j’ai engrangé et qui m’ont nourris. Je pense que pour les danseurs professionnels qui n’ont pas un statut facile, le statut d’artiste indépendant, pour qui, pour la plupart, c’est très compliqué, la situation actuelle amène encore plus de précarité. Pour autant, tout ce qui s’est passé depuis un an, avec cette entrave dans nos corps, cette contamination négative a amené de la contamination positive sur le mouvement. C’est-à-dire que j’ai l’impression qu’on ne les a jamais vu autant dans les médias. On les voit dans les publicités, sur les réseaux sociaux, dans la mode ! En même temps, qui mieux que le danseur peut dompter son corps ? Et un corps qui est maîtrisé porte bien les vêtements, sait maîtriser un objet, ces artisans du mouvement, on en a besoin.

LB : Et que nous disent-ils ? A ton avis, en quoi le danseur peut nous inspirer, nous transmettre un message ?

D : Un danseur ça sert à créer du Beau. Quand on danse, à voir et à faire, c’est ça. A voir c’est regarder quelqu’un qui sait créer du Beau avec son corps, et c’est quand même dingue, c’est un artisan qui n’a pas besoin d’accessoire. Ça déjà, c’est génial, de pouvoir créer une forme d’art certes éphémère, mais qui n’a pas besoin d’accessoires autres que celui de son corps.

LB : Et qu’est-ce que c’est le Beau pour toi ?

D : Pour moi il y a d’abord l’objet esthétique, je suis sensible à ça. Je suis sensible au danseur qui arrive à créer un objet esthétique, quelque chose que je vais trouver dans l’espace “beau”. Il arrive à occuper l’espace, il arrive à me faire voir cet espace différemment, parce qu’il est là, parce qu’il a créé un mouvement. Après oui, il va créer une émotion et m’emporter sur un territoire que je n’avais pas envisagé.

Ce qu’on constate dans les chorégraphes émergents, c’est qu’ils sont de plus en plus dans la narration. On est plus dans la danse des années 80-90 qui était plutôt dans l’objet, là on est en train de retrouver une forme de narration et de proposition créative. Ces histoires elles peuvent te toucher parce qu’elles t’emmènent à un endroit que tu n’avais pas forcément imaginé, et moi justement ce que j’aime, c’est voir du Beau associé à une forme de narration qui va faire écho. Ce n’est pas forcément une narration linéaire, descriptive, mais moi je vais me raconter quelque chose en voyant ce que le danseur essaye de me raconter.

LB : Pourquoi c’est important la danse ?

D : Pour moi, aussi, les danseurs permettent d’avoir une conscience du corps. J’ai l’impression qu’on est dans une société où on perd toute forme de conscience du corps. La danse, ça permet aussi ça. Quand on la regarde, quand on la fait, c’est de reprendre possession de son corps. Un être humain, il est fait de chair, il est fait de membres, ces membres sont des parties qui peuvent être reliées, ces membres sont commandés par un cerveau. Ce cerveau il ne fait pas que voir, qu’écouter, il peut aussi synchroniser un corps fait de chair. 

LB : C’est beau.

D : C’est très beau, et c’est aussi ça la danse. C’est reprendre possession de son corps dans les parties les plus profondes. Malgré ce qu’on a vécu, de se dire que tu reprends possession de ton corps, que tu te constitue en tant qu’être qui respire… Souvent je pose la question de ce que c’est que d’être un danseur, d’être tous danseurs. Il y en a pleins qui me répondent “oui, quelqu’un qui marche dans la rue c’est déjà un danseur”. On porte tous un peu de danse en nous parce qu’on est tous capables, à un moment donné, de faire bouger notre corps.

LB : Et Tous danseurs, qu’est-ce que ça évoque pour toi ?

D : Finalement c’est une forme de quête. Tous danseurs, c’était comme un appel. Comme un cri de ralliement. Tous danseurs ce n’est pas qu’être danseur, que créer du mouvement, c’est être danseur de sa vie et faire danser la vie (rires). Quand je dis aussi faire danser la vie, c’est dire avoir une attitude positive de manière constante. C’est une philosophie.

LB : Qu’est-ce qui fait que quand tu sors d’une interview tu te dis “Là, ça m’a bouleversé, ça m’a inspiré” ?

D : Pour tous il y a eu ce sentiment-là. Ce n’est pas pour faire une réponse bateau, mais ils ont vraiment tous pris le temps de se livrer, de jouer le jeu, de se sentir pleinement en confiance et donc d’avoir une parole libre. C’est un cadeau, un cadeau que tu vas en plus transmettre. Marion Motin, au début, c’était dingue à ce stade-là de la création de Tous danseurs d’avoir quelqu’un comme elle, qui m’a reçu alors qu’elle était en train de répéter le Fashion Freak Show avec ses danseurs dans des studios. Je me souviens qu’on a fait l’entretien, on s’est assises toutes les deux par terre, il y a avait un truc hyper décontracté. Après il y a eu Léo Walk, je sais que c’est ton chouchou (rires) mais le fait d’interviewer quelqu’un comme Léo, c’était à l’Olympia, on s’est retrouvé tous les deux dans les coulisses. Il y avait ce lieu aussi, emblématique, magique.

Et a contrario je vais me retrouver avec une danseuse étoile sur le banc d’un parc, où tu as les bruits, avec les enfants qui tournent autour en trottinette, c’est drôle. Chaque invité que j’ai pu avoir, j’ai vécu des rencontres. Je pense aussi à Thierry Micouin que j’ai rencontré chez lui, qui est un danseur avec un parcours très atypique, qui a commencé en étant médecin, et à la suite d’un accident sachant qu’il avait toujours voulu être danseur il s’est dit « ma vie finalement c’est la danse », il a arrêté la médecine… C’est aussi ces témoignages de vie qui sont aussi formidables à enregistrer.

LB : Est-ce qu’il y a une suite dans ta tête ? Est-ce que tu as d’autres projets ?

D : Déjà j’essaye de faire ce truc-là de la meilleure manière possible avec le meilleur engagement. Ça ne fait qu’un an et demi que ça existe, même s’il y a déjà 75 épisodes. J’avais besoin de le construire, de me construire une légitimité, de me faire connaître. C’est encore tout petit Tous danseurs, le chemin est long et laborieux. 

Après, effectivement dans les modèles, qu’on passe d’un podcast à un média digital de la danse. Je suis toute seule aujourd’hui mais je n’ai pas vocation à avancer toute seule. J’aimerai bien aussi qu’autour de moi se constitue une équipe de passionnés, de trouver des gens qui auraient envie de porter le flambeau. J’ai plein d’envies, d’idées. J’aimerai faire des livres, des livres sur les danses, parce qu’il y a certaines danses qui ne sont pas vraiment documentées, notamment les danses urbaines. Des documentaires… Devenir un média pour la danse, pas poussiéreux. Je veux rester agile, garder cette proximité, cette tonalité, de danse vivante, décomplexée, que ça puisse se diffuser sur pleins de supports, que je puisse en vivre et créer une équipe rémunérée autour de ça. 

LB : J’aime bien poser cette question, souvent quand on s’investit on a la tête sous l’eau et on ne se rend pas compte de l’impact qu’on a, et des gens que ça peut attirer, les projets. Ça m’aide à voir comment les gens se projettent, même si on est humble parce qu’on met toujours tellement de travail dedans. Ça m’intéresse de savoir où on a envie d’aller même dans ses rêves les plus fous.

D : Mais à chaque fois que je fais une interview je ressors avec dix idées ! Ce matin j’étais avec Philippe Almeida, qui est une des figures emblématiques en France du hip-hop et dans le monde, et on parlait de la notion de répertoire dans le hip-hop. Aujourd’hui, c’est quelque chose qui n’existe pas, alors qu’un répertoire c’est fondamental dans le néo-classique, le classique, le contemporain, et je me disais mais oui, c’est ça qu’il faut faire !! Il faut faire un festival où on rejoue les pièces emblématiques du hip-hop ! J’adorerai pouvoir être une des figures de ceux ou celles qui vont porter le projet.

LB : Est-ce que tu as des recommandations culturelles qui t’ont marqué ?

D : Récemment, ce qui est génial c’est qu’il y a un foisonnement, une ébullition, les portes des théâtres se sont rouvertes. On a une espèce de boulimie, et ce qui m’a marqué… j’ai eu la chance de voir pas mal de choses. A la Villette j’ai vu Earthbound, qui est porté par le collectif Fair-e de Johanna Faye et Saïdo Lehlouh et j’ai trouvé ça captivant, très beau, parce qu’il y avait sur scène sur le plateau les musiciens qui composaient en live et un collectif de danseurs qui faisaient beaucoup de freestyle. Cette composition avec ce dispositif musical au centre, tu avais envie de te lever et d’aller danser avec eux. De voir la musique et en même temps de voir le danseur, j’ai trouvé que c’était super. Après, une des pièces de Thierry Micouin, danseur interprète et chorégraphe, qui s’appelle Eighteen, où il est avec sa fille sur le plateau et ils se racontent. Autre spécificité de cette pièce, déjà un père et sa fille, c’est touchant, mais ils dansaient, et il y avait des mots. Il y avait la bande-son mais eux aussi s’exprimaient, mêlaient les mots au mouvement, je trouvais ça formidable.

Et enfin le Lac des Cygnes de Preljocaj à Chaillot. Là, revisiter un ballet aussi emblématique que le Lac des Cygnes, et Preljocaj, qui fait partie de la liste des personnes que j’aimerai entendre dans Tous danseurs, de voir ce qu’il a fait de ce ballet, pour lui redonner une touche contemporaine, avec des costumes magnifique, un rythme très soutenu pour l’ensemble des danseurs, c’était génial. Tu as un travail sur la scénographie, les lumières, et rien n’est laissé au hasard.

Donc oui, il y a pleins de choses à voir, et il faut y aller, il faut ouvrir les portes des théâtres, il faut se nourrir de danse, il faut soutenir la danse aussi, parce que plus il y aura de spectateurs et plus la danse sera diffusée, et c’est un enjeu majeur de la danse aujourd’hui. C’est obtenir de la place en diffusion, et c’est ce qui fera vivre ces artistes.

***

Cet article est déjà terminé ! J’espère sincèrement qu’il vous aura plu. Pour en savoir plus et entrer en immersion dans le monde sensible de la danse, vous pouvez suivre Tous danseurs sur instagram et bien sûr écouter le podcast ! De mon côté, vous pouvez toujours me retrouver en commentaires de cet article ou bien sur mon propre compte instagram.

A très bientôt pour un prochain article !

Eloïse

2 réponses à “Donner le son du mouvement, avec Tous danseurs”

  1. A travers cet échange on ressent un partage de quêtes semblables entre vous deux et c’est ça votre force aujourd’hui. Faire ce qui vous fait vibrer chaque matin, le transmettre et ainsi donner envie.

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