Étiquette : CHRONIQUES

  • The Clitheroe Road Chronicles (4/5): Reality is about being absurd

    Il est possible que j’ai déjà mentionné dans de précédentes chroniques l’idée que la ville dans laquelle nous avons décidé de poser notre sac nous apparaisse parfois comme un reflet de nous-même et s’interprète selon notre état actuel. Plus longtemps nous décidons d’y rester, plus nous prenons conscience qu’elle ne se résume pas seulement à ce qu’elle est, mais qu’elle s’étend à l’intention que nous décidons d’y mettre. Cette idée de reflet est plutôt optimiste, elle nous donne le pouvoir d’initier notre vie renouvelée par un environnement étranger. Une autre théorie serait celle du tout à fait l’inverse. Nous pourrions, à l’image de Jim Carrey dans le Truman Show, n’être que des pions à la merci du bon vouloir de notre environnement qui influencerait, si ce n’est déciderait, de nos choix, de notre analyse, de notre perception. Je n’embrasse pleinement aucune de ces théories. Si à la fin de votre journée vous tenez votre carnet de voyage et tentez de résumer ce qui vous est arrivé, vous vous rendrez compte que l’absurde s’est glissé dans les recoins du monde aussi bien que ceux de votre esprit. Le simple déroulement d’une balade en ville et son enchainement d’évènements peuvent s’avérer très perturbant. À titre d’exemple, j’ai listé pour ma promenade d’hier :

    • Teckel dangereusement obèse hurle à la mort sur quiconque le prive de sa balle au pied du Parlement – métaphore de la vie politique anglaise ?
    • Chien à dreadlocks et son maître à dreadlocks suivis à Trafalgar Square – où peuvent-ils se rendre ?
    • Tomber en plein coeur d’un marathon à Buckingham Palace et d’une manifestation pro « UK must rejoin the UE » – penser à interviewer les gens dans la rue.
    • Envie d’entrer par effraction dans la Serpentine Lodge – maison privée aux allures de cottage au coeur d’Hyde Park – pour y écrire et ne plus jamais en sortir.
    • Pourquoi toutes les femmes se coiffent les cheveux sur les bancs ? Surtout qu’elles ont toutes les cheveux lisses.
    • Se cacher sous les grands marronniers – se sentir chez soi.
    • Une femme à l’entrée de Portobello Road dit à son amie devant un magasin de souvenirs « I really need some therapy for sure » – pourquoi cette phrase et pas une autre ?

    Nous conviendrons ensemble que ce genre de relevé d’informations n’a pas d’interprétation claire, si ce n’est que j’ai visiblement une obsession capillaire, l’envie d’avoir un chien ou d’engager des échanges philo-politiques dans la rue avec des inconnus.

    Qu’en est-il de l’imprévu, le vrai ? Celui qui me propose en fin de journée sur un coup de tête de mettre mes chaussures et de l’accompagner voir le lancement d’un court-métrage à Oxford Circus ; à finir la soirée dans un boui-boui indien, ancienne cantine de George Harrisson ; à discuter avec une nouvelle connaissance attrapée au vol sur le trajet pour parler d’écriture et de cinéma autour du meilleur paneer de ma vie ? Cet imprévu qui vous fait perdre tous vos repères, que vous n’avez pas le temps d’écrire dans votre petit carnet, celui que vous n’auriez jamais pu provoquer par vous-même et auquel même l’univers n’aurait pas pu penser, explose les vitrines d’analyses et de questions sur la raison de nos actes aussi bien que de ce qui retient notre attention. Cette déroute-là, celle qui semble tout à fait incontrôlable, est la plus délicieuse. Laisser aller, ne pas toujours chercher à trouver de sens à chaque chose, est une tâche ardue pour l’écrivain, sans cesse en quête de réponses.