Le touriste qui voudrait chausser ses pantoufles et visiter Naples comme n’importe quelle autre ville se fourre le doigt dans l’oeil. Terminés, les itinéraires préconçus, le sentiment qu’ici le visiteur est roi. Les églises sont payantes, les lieux artistico-culturels fermés pour travaux. Dans le baptême de rue des courants d’air soulevant les draps blancs qui sèchent aux balcons et nous pleuvent de temps en temps sur la tête, Naples murmure : Cette ville est trop petite pour nous deux, étranger. Tu tiens absolument à en prendre pleins les yeux ? Elle te laissera tout de même le choix entre les ruines de Pompeï à Herculanum sous le soleil de plomb, le sommet sans ombre du Vésuve dont la prochaine éruption devrait, d’après les spécialistes, être dévastatrice, ou bien de rester au frais mais six pieds sous terre, dans les catacombes, où l’activité la plus trendy reste d’adopter l’âme perdue résidant dans un crâne et de la visiter régulièrement.

Naples est un ventre traversé d’organes sinueux à gravir et à descendre, qui ne vous mènera que là où elle peut tester votre véritable volonté d’y rester. Pour ma part, je suis du genre à me laisser porter, je finirai bien par arriver jusqu’à la mer. Je glissais donc mes pantoufles sous le lit pour m’acheter une paire de sandales en plastique à 7 euros, portées par l’intégralité des femmes locales, dans le but, à la fois, de supporter la chaleur montante des pots d’échappements des scooters, et parce qu’en vrai, elles ont un certain style. Andiamo. Cindy m’emmène au Duomo, où 3 fois par an, le sang de San Gennaro, conservé depuis l’an 305, pourrait décider ou non, à travers une loupe, de se liquéfier. Le faisant, il assurerait prospérité, ne le faisant pas, il préviendrait l’arrivée d’une catastrophe. Premier élément d’une pensée qui m’accompagnera tout au long de mon séjour : la superstition populaire à tendance ésotérique, agrémentée de Saints minutieusement adoptés, est le Vatican de Naples.

Nous poursuivons notre marche le long de la Spaccanapoli jusqu’à Santa Chiara pour nous reposer. Les fresques s’effacent mais c’est le jardin qu’on restaure. Je me fais disputer par les gardiens parce que j’ai, sur la pointe des pieds, regardé à travers une fenêtre un ensemble de prêtres en pause déjeuner. À leur table, j’en avais reconnu deux que j’avais vu sortir du Duomo et qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à Tweedledum et Tweedledee. Je commence à avoir faim. Cindy m’emmène dans sa cantine, à Spiedo d’oro, où l’on annonce ce que l’on souhaite comme à une criée, le ticket marqué de notre numéro brandi en l’air. Le patron se marre et répète à tout le monde que j’ai demandé un po de polpette.


L’après-midi se poursuivra, parcourant la Via Toledo qui nous fait rebondir du Centro Storico au labyrinthe du Quartieri Spagnoli et où je réalise que les murs sont les vrais monuments de Naples. Les cours d’immeubles, ses opéras. Figures de Padre Pio, autels à Maradona plus qu’à la Madona, sont les gardiens des manifesto di lutto, ou avis de décès, placardés en affiches et des banderoles en hommage aux jeunes victimes de règlements de compte causés par la Camorra. Une rubrique nécrologique à ciel ouvert où le business des épiceries, tabacs, marchands de journaux, boutiques de souvenirs, de fringues en vitrine ou en contrefaçon sur le trottoir directement importées de Chine, stand de street food, semble increvable, antique.

Puis brutalement, arrivée dans l’immense vide de la Piazza Plebiscito, je respire. Le vent se déchaine, le soleil rentre, l’horizon s’ouvre. Au loin, le Vésuve annonce la surface du bleu profond du bord de mer, Via Partenope, où se dressent de grands hôtels improbables à l’apparence désertés. Les gens se baignent devant le Castel dell’Ovo, évidemment fermé, et sèchent sur les pierres, faute de plage à cet endroit-ci. Il est temps de récompenser 26 kilomètres à pied par des Peroni bien fraîches sirotées sous des ventilateurs branchés sur le pavé, destinés à refroidir la ruelle ; puis plus tard, par une sélection de frittatine di pasta attrapées au passage, avant de s’écrouler dans un bar, sous des guirlandes et un match du PSG diffusé en pleine place nocturne, plus à destination des serveurs que des clients.

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