Étiquette : ECRITURE

  • The Clitheroe Road Chronicles (5/5): There is no great story without details

    Ecrire des chroniques, parler de soi à travers l’analyse du monde qui nous entoure, est un exercice complexe. Je suis tentée de noter les uns à la suite des autres les détails qui, à mon sens, méritent qu’on leur accorde une attention, parce qu’ils font surgir une émotion ou une réflexion. Il faut prendre soin de ne pas se résumer, pour la santé du lecteur, à une suite d’énumérations sur le papier. Pour me le rappeler, le premier post-it qu’arbore mon carnet de notes d’écriture est une leçon que Jeje m’a donné un jour, alors que je lisais certains scripts pour lui : The point is not what it says, but what it shows

    En tant qu’écrivain, je ne dois pas estimer que chacune de mes actions à la valeur morale d’une fable. Est-il utile de se demander ce qui se cache en sous-marin derrière l’envie de partager ces évènements sous la plus basique forme de non-fiction : la chronique ? Joan Didion disait : si je savais moi-même pourquoi je ressens le besoin de parler de ces sujets, je n’écrirai jamais à leur propos.

    Lorsque j’étais au collège, j’eus comme devoir de français d’écrire une rédaction à propos d’une classe verte de laquelle nous venions de revenir et qui s’était déroulée dans une station de ski en plein coeur du printemps. L’exercice demandait de raconter un souvenir marquant du séjour qui avait été riche en émotions et en activités aquatiques : descente de cascade en rappel, rafting, canoë etc.

    J’avais choisi de raconter le moment culminant de nos matinées, lorsqu’à peine sortis du lit nous devions nous glisser dans des combinaisons intégrales en Néoprène encore gorgées de l’eau froide des activités de la veille. Elles n’avaient jamais le temps de sécher durant la nuit, et nous devions tâcher d’ignorer le fait que nous trempions probablement dans l’humidité d’un de nos camarades, ces combinaisons ne nous étant pas « attitrées » sur l’ensemble du séjour. C’était un sentiment désagréable au grand potentiel comique. Je me rappelle rire au-dessus de ma feuille, grimaçant de faire ressurgir l’intensité de ce rituel abominable. Lorsque la professeure de français nous rendit nos copies, je ne récupérai pas la mienne. Elle s’adressa alors à toute la classe et dit : « Je voudrais mentionner devant l’assemblée la rédaction de [Teto]. Voyez, au premier abord, j’ai cru faire face à une farce, un torchon d’évènements très peu réjouissants. Et puis j’ai réalisé la quantité de détails accumulés  sur une simple page et j’ai passé un très bon moment, drôle et original. J’ai donc décidé que j’attribuerai un 20/20 à cette élève pour ce travail de recueil saisissant. » 

    Ce fut, comme vous pouvez l’imaginer, le moment culminant de ma carrière d’écrivain. Aucune remarque, aucun commentaire à propos de mon écriture n’a depuis été à la cheville de cet instant. Si l’on revient à la phrase de mon carnet de notes prononcée par Jeje, qu’est-ce que cette abondance de détails démontrait réellement du souvenir sélectionné pour décrire cette classe verte ? Treize ans plus tard, je n’en suis pas tout à fait sûre. 

    Il est réellement jouissif de sentir que l’on peut transformer un sujet peu interessant au premier abord par la seule force des arguments ne pouvant être détectés que par l’oeil de l’observateur minutieux. Durant mon séjour à Londres, ce détournement fut mon maître et je constate à quel point j’ai éprouvé du plaisir en renouant avec ce jeu d’informations. Pas un jour n’est passé sans que je ne remplisse mes carnets de centaines d’éléments et de détails ne demandant qu’à être retranscris, retournés, décalés. Je n’ai pas pu tous les placer. Vous auriez souffert d’une réelle indigestion. Ceux qui sont restés au placard jouent de nouveau du tambour à la porte de mon cerveau, suppliant de sortir du tiroir. Je suis certaine que si j’avais réussi à tout dire, j’arrêterai d’écrire pour de bon.

    Au croisement d’une impasse, l’odeur de lessive et de café des quartiers chics de Londres envahit mes narines et agit comme une soupape alors que je ferme les yeux sous un rayon de soleil. Voilà au moins une bonne raison, suffisante pour l’instant, de penser que bon flair ne saurait mentir.