Étiquette : chronique de poche

  • bits&pieces décembre 2024

    Les chroniques de poche sont diffusées sur le compte instagram de La Beautaniste chaque semaine. Vous y retrouvez les bits&pieces, format hebdomadaire, et quelques hors-séries !

    1er décembre – J’ai pris ma journée pour lire, manger des spaghettis à la sauce tomate, et regarder des films. Mon choix penchait vers l’envie de me taper quatre heures d’Autant en Emporte le vent (1939), parce que, pourquoi pas ? J’avais repensé à ce film récemment et à une image ancrée dans ma mémoire et dans laquelle je souhaitais absolument replonger. À la fin, coup de massue. J’avais pris il y a dix ans une scène de famine pour une scène d’amour, et restais horrifiée du déroulement de mes heures passées à attendre ce que j’avais construis de toute pièce s’écrouler tranquillement. Le film remplaçait mon envie de romance par un regard adulte me disant ma petite, tu es seule et livrée à toi-même, tu pourrais même tout perdre. Seule un lopin de terre à défendre vaut le coup, en dépit de tout, même de l’amour. Me dire ça à moi qui en ce moment compare les 12 mètres carrés à Paris en me demandant lequel causera ma ruine.
    La vérité, c’est qu’on regarde une œuvre d’art et on voudrait ne pas chercher le message. Ce qu’elle doit nous transmettre. On voudrait être au-dessus de cette quête. Mais c’est humain, de vouloir donner sens à tout. Et moins il y en a, plus je tenterai de l’interpréter. Ce qui me rassure c’est de me dire quoi que j’en pense je serais sûrement à côté de la plaque. C’est en cela que l’art remet en place : être persuadée que mon sens a été le bon, sans me douter qu’au fond ça m’a totalement échappé. Que la réponse est différente en tout point. La preuve, c’est que j’ai trouvé la même conclusion en regardant Autant en emporte le vent et La Dolce vita (1960) : tomorrow is another day. Il faut songer à demain, sans oublier de vivre aujourd’hui. Qu’une femme qui traverse la guerre de Sécession est un homme dans le Rome des années 60. Que par extension c’est aussi ce que dit le papier que j’ai tiré d’un fortune cookie au goût d’ostie dégueulasse que j’ai gobé dans un bar. Tout est une question de contexte, et tout s’en détache dès l’instant que l’on se l’approprie.

    La dolce vita de Fellini (1960)

    16 décembre – Ça a débuté comme ça. Le lundi, un enterrement, le mardi, un entretien. Mais tu as dit que ça signifiait « entre, laisse tomber les errements, garde ce qui est tien ». Contrairement à ces premiers mots de paragraphe empruntés à Céline, ces derniers jours n’auront pas été un long voyage au bout de la nuit. Le flot parisien dévalait la pente des courses à la bourre des cadeaux de Noël et l’attente des congés ; tandis que je remontais à contre-courant. En fait, j’étais un peu comme Tom Cruise dans n’importe lequel de ses films : seule contre tous, en flux tendu infatigable, sautant d’une explosion à une autre, toujours bien coiffée. Il y a quelques temps, j’avais parlé de l’inconfort pour faciliter la création. Je confirme bien qu’elle est le meilleur fuel, aussi pour entretenir le travail, voire même l’amour. Attention à ne pas basculer dans la contrainte – sauf, bien sûr, si vous êtes masochiste. J’écrivais dans une lettre que j’avais toujours été sans cesse trimballée partout depuis l’enfance. J’avais envie, enfin, de me poser, pour construire quelque chose de plus solide qu’une tour de kapla sans délaisser ma nature. Ceci, messieurs-dames, s’appelle l’esprit de contradiction. J’écrivais ces mots alors que les lundis devenaient des dimanches et qu’hier j’étais persuadée d’être vendredi. C’était peut-être la solution : si je ne pouvais pas bouger, le monde bougerait autour de moi. Heureusement, même dépourvue de repères, j’ai enfilé mon grand manteau, dégusté une pavlova, quelques margaritas aussi, réveillé le fantôme de Prince, et de Proust. Dans quelques jours ce sera enfin le solstice, et les heures rallongeront, laissant plus de place à tout, sauf à la nuit.

    22 décembre – Noël c’est dans deux jours et on m’a proposé d’écrire une chronique sur la recette de famille la plus absurde. Si j’avais été cuistot, j’aurais sûrement pondu un truc à la Maïté (qui nous a quitté hier pour rejoindre le paradis de la sainte motte de beurre) donc des réflexions grasses, quelques coups de couteaux bien placés et des conflits mijotés pendant plusieurs décennies, le tout dans une bonne rasade d’alcool. Ça conserve. Mais je suis plutôt libraire, et encore mieux : j’ai des ami.e.s libraires, qui a ma plus grande joie, ont, cette semaine, arrangé une table thématique intitulée « psychologie des repas de famille ». En entrée donc, laissez-vous tenter par une sélection d’ouvrages axée parents séparés comment ne pas s’entre-tuer, répartition des tâches et burn-out au sein du foyer. On passe au plat de résistance avec un jeu : quel trauma êtes-vous ? dont vous ne parlerez pas avec vos proches dans les cinq prochains jours, ni de votre tendance à la dépression, cachée en poussière sous le tapis et n’attendant qu’une chose, retourner chez le psy, aka le Père Noël des grandes personnes. Vous reprendrez bien une coupette avant le dessert, parce qu’une fois que tout le monde est bourré ça part en crise d’angoisse plutôt qu’en crise de foie et là il faut les meilleurs livres à tout hasard « que faire des cons ? » (Maxime Rovère, 2019) ou « comment faire changer d’avis n’importe qui » (Johan Berger, 2023) disponible en format poche et se glissant très facilement sous la serviette de tonton-politique. Comment ça, c’est déjà fini ? Oui, mais l’année prochaine ça recommencera, et vous saurez où vous procurer tous vos cadeaux.

    29 décembre – On a parfois l’impression que d’autres savent mieux que nous ce qui va nous arriver. Ça a été mon cas il y a environ six mois. J’avais consulté une femme pour arrêter de faire des cauchemars toutes les nuits. Très vite, ça a dévié sur la définition, ensemble, de mon « chemin de vie ». À l’époque j’étais super sereine, et croyais dur comme fer que je partirai vivre en Grèce. J’avais trouvé le boulot de mes rêves le plus mal payé de la terre, des pistes de coloc solides, et si au fond de moi une voix me disait que j’essayais un peu trop de prendre une revanche sur le passé, je la repoussais d’un geste pour foncer tête baissée. Sans trop réfléchir, comment résumeriez-vous la vie que vous souhaitez mener ? M’a demandé la femme. Ecriture, et voyage, j’ai dit. Elle a agité des baguettes de sourcier au-dessus de moi, réglé quelques problèmes de famille inconscients et identifié qu’une de mes ancêtres avait sûrement eu les pieds gelés. Je la laissais faire, répondait à ses questions. Au bout de trois séances, elle m’avait aidé sur certains trucs, pas du tout sur d’autres, c’est comme ça. Avant que je la quitte, elle m’a dit quelque chose comme « Pour la Grèce je vous souhaite le meilleur blablabla… » et si tout le reste m’avait moyennement persuadé, j’ai lu à ce moment-là dans ses yeux qu’elle savait que je ne partirai pas. Elle a ajouté : « si jamais les plans changent, revenez me voir dans quatre mois ». Quelques semaines plus tard, pour des raisons en dehors de ma portée, tout tombait à l’eau. Je ne suis pas retournée la voir. Je repense souvent à son regard, me demande tout ce qu’elle voyait peut-être, mais qu’elle ne m’a pas dit. Et si ça correspondait avec tout ce que j’ai vécu depuis, de tellement fou, excitant, terrifiant, incertain, nouveau mais vrai.
    J’ai vu l’océan une dernière fois cette année, impossible de rendre sa couleur. blanc comme le ciel, blanc comme Moby Dick, si j’étais kitsch je dirais que ça incarne l’innocence de l’avenir.