Catégorie : Teto Maltesi

  • Écrivain en salle de sport

    S’il devait exister un archétype de la chronique, il porterait probablement sur la découverte d’une salle de sport. Que ressent un écrivain au physique globalement proche du ver de terre soudainement entouré d’Apollons qui soulèvent de la fonte ? C’est un cliché qui nous titille, certes, et l’escapade en lieu collectif par un ermite de profession se fait toujours riche en critiques et observations.

    Pour  ma part, l’idée même de faire du sport est déjà riche en critiques et observations. À titre d’exemples,

    • critiques : deux fois par an environ, très souvent quand je n’arrive plus à écrire et que je m’ennuie, une envie irrépressible de me « remettre » à faire de l’exercice survient, et, deux fois par an, cela ne dure en général pas plus d’une semaine. Je mise toujours la barre trop haut mais me rends compte assez vite que je n’ai pas le 10km de course inné et me décourage jusqu’au prochain solstice ;
    • observations : je reste inévitablement un corps flasque et fatigué sans aucune détermination sur le long terme, qui compense sa culpabilité en se disant que de toute façon, j’ai toujours été plus « cérébrale » que « physique ». 

    Je reste donc allongée sur mon lit à exercer les grandes qualités cérébrales dont je me suis dotée en scrollant Instagram, qui regorge de messages body positive : « apprenez à vous aimer, ne faites rien par raisons superficielles et l’univers vous récompensera » ce qui en soi n’est pas trop mal, mais qui à force de martèlement intempestif s’appuie sur votre conscience comme un couteau sous la gorge. Moi qui voyait justement l’été approcher et qui désirait secrètement muscler un peu ma silhouette, comment faire ? Avouer qu’une partie de moi traquais à nouveau mon summer body ? La honte, je valais quand même mieux que ça. Et puis ça n’était pas un argument suffisant pour m’inscrire à l’abonnement sur engagement de 52 semaines minimum que proposais la salle de sport en bas de chez moi. Il me fallait une raison valable pour m’y mettre, une bonne fois pour toute. En attendant, ma punition serait de rester flasque et fatiguée.

    Cette raison, je l’ai trouvée quelques temps plus tard en me rendant à une conférence d’un de mes auteurs préférés. Nous étions là, assis grassement dans un amphithéâtre autour d’une dystopie nous démontrant une nouvelle fois à quel point nous étions toutes et tous condamnés au sein de la société destructrice que nous avions nous-même créé. Quel est le rapport avec la pratique sportive ? Aucun. Simplement, quand notre moral ne pouvait pas être au plus bas, il était temps de passer aux questions. Quelqu’un dans l’assemblée interrogea l’écrivain sur sa routine d’écriture. Ce à quoi il répondit : écrire c’est comme courir un marathon. Il faut se pratiquer un peu tous les jours, et, sur le long terme, on finira par aboutir. Ma lanterne s’éclaira. Après tout, si je n’avais jamais été capable de courir plus de 3 kilomètres au cours des dix dernières années, il était normal que je ne termine pas un seul manuscrit.

    Ainsi donc, pour écrire il fallait me mettre à courir, et pour courir, me mettre à écrire. J’entamais cette nouvelle approche de mes considérations sportives en parallèle à de nouvelles considérations d’écriture. Je faisais illico ma première séance gratuite de la salle la plus proche de chez moi et signais pour le fameux abonnement. J’étais officiellement liée par le prix trop élevé de mon forfait avec engagement obligatoire et décidais de me rendre sur le lieu d’expérimentation deux fois par semaines. 

    Le début ne fut globalement que souffrance, courbatures, transpiration à outrance et sentiment de démembrement physique plutôt que de renforcement musculaire. Évidemment, je partais de loin, très loin, sous le niveau de la mer. Chaque année, c’était le constat qui me faisait arrêter et attendre six mois avant de retenter ma chance. Cette fois-ci, la différence était que je me rendais compte d’une chose : la salle de sport est un lieu de regards. Moi qui, d’habitude, pratiquais seule dans mon coin – et abandonnais fatalement – je me confrontais au regard des autres en plus du regard que je portais sur moi-même.

    Ça ne paraît pas spécialement réjouissant dit comme ça, j’en ai conscience. Attention, je n’entends pas par là que tout le monde se fixe avec de gros yeux et s’appréhende. Simplement que pour agir et entrer dans l’effort collectif, il fallait dépasser le stade de la peur du jugement, qui en général va de paire avec la motivation. Ce regard omniprésent et inconscient nous porte plus qu’il ne nous embarrasse. Nous n’étions rien d’autre qu’un grand rassemblement de plus-ou-moins-pudiques, réunis dans le respect des barrières d’autrui et focalisés sur nos propres objectifs, où nettoyer sa machine pour le suivant aura bien plus de valeur que la pensée intellectuelle de chacun.

    S’ajoutait à cet environnement le programme télé, naviguant entre les épisodes d’Affaire conclue, la chaîne d’info qui tourne en boucle, Joséphine Ange gardien, et enfin les films de l’après-midi sur Arte – en ce moment des westerns en noir et blanc sous-titrés ou des vieux films avec Tom Cruise ou Léonardo DiCaprio. De quoi ravir les goûts de tout le monde. Sans parler des individus star que je retrouve désormais régulièrement, notamment le fantôme du vélo elliptique, une femme qui est toujours là, à chaque fois, et qui cours comme en transe, à l’infini, sur la même machine force 18, brûlant des milliers de calories sans jamais faiblir ; le mec qui vient avec son casque anti-bruit, son ventilateur miniature et sa montre attachée à sa cheville droite ; ou encore cette femme qui pourrait être ma grand-mère mais qui reste la personne la plus musclée que j’ai jamais vue de ma vie, me recommandant gentiment de mieux placer mes bras quand je fais des abdos sinon tu vas t’écraser les lombaires ma bichette. J’en oublie beaucoup d’autres. De nouvelles raisons de revenir chaque semaine et de continuer à pratiquer.

    Outre le fait que la salle de sport a son propre microcosme – il faut l’avouer – elle montre que faire du sport sur le long terme, comme se lancer dans l’écriture d’un livre, comprend aussi bien de répondre à de petits objectifs « concrets » – courir 15 minutes ou écrire 200 mots par jour – qu’à transformer sa mentalité. Faire du sport ne me fait pas écrire plus – il n’y a pas de secret pour ça – mais me permet de faire du tri dans mes idées. J’ai également compris que plus l’objectif est grand, plus il faudra de temps et de patience pour le réaliser. Plus de tolérance amènera plus d’alliance entre corps et esprit, et puis ça défoule quand même.

    Teto Maltesi