Catégorie : Naples 2025

  • Le pâtissier de Maradona

    À la question « quel serait ton super-pouvoir ? » j’ai toujours répondu « voler ». Pourtant, j’ai une peur terrible de prendre l’avion. Un grand aventurier n’est pas un être sans failles, qui plus est qui remettent au défi ses envies d’évasion. Cela s’explique par une seule réalité, développée au fil de mes lectures et leçons empiriques : les grands aventuriers sont masochistes. C’est pourquoi, en plus d’avoir peur de me retrouver en plein ciel sans savoir qui conduit, je décidais, pour me rendre à Naples, de prendre le premier vol low-cost. Le retour se ferait en train à travers l’Italie. Mais pour l’heure, départ d’Orly à 7h20. Quatre heures de sommeil dans le pif, interdiction formelle de boire du café avant d’arriver en terre sainte, histoire d’assommer au maximum l’angoisse. Malgré toutes mes prédispositions à mal vivre cette première étape, arrivant sur le tarmac déjà brûlant, je constate être restée de marbre. Comme si je savais déjà que j’allais poser le pied sur un territoire à l’instinct de survie bien plus éprouvé que n’importe quel paysage céleste. Naples endurcit. C’est ma première impression.

    L’avion roule tranquillement au sol tandis que l’ensemble des passagers applaudit son atterrissage parfaitement effectué. Le bruit réveille le bébé roulé en boule sur les genoux de sa mère qui se trouve de l’autre côté de la rangée, en diagonale derrière moi. Le coucou s’arrête, la foule enclenche la course à qui rangera le plus vite ses affaires. La petite trépigne, joue des aigus en agitant vivement les bras en direction du couple assis dans mon dos. Sa grand-mère tourne la tête et pousse un grand cri : Maradona ! Ma petite fille est une immense fan ! 

    Je me demande comment un bébé qui ne doit pas avoir plus d’un an peut reconnaître qui que ce soit. La grand-mère roucoule, la mère acquiesce, tout le monde est d’accord, je suis perplexe. En me levant dans la rangée, je tourne la tête vers le sujet de convoitise. L’homme se redresse pour attraper le sac de sa compagne et je vois. Sur l’entièreté de son avant-bras, large comme un jambon, se dessine la face du footballeur légendaire, figée dans un sourire triomphant. Le tracé de l’encre tatouée sur sa peau donne l’impression qu’il est complètement édenté.

    – And you, what do you do for a living? 

    – I am a writer.

    Rosario, mon jeune chauffeur de taxi, se retourne sur son siège pour mieux m’examiner. En plein milieu de la pétarade de bouchons qui forme les anneaux de la cité de Naples, il veut prendre le temps de constater à quoi ressemble cette écrivaine qui s’est jetée sur la plage arrière de son bolide comme sur un transat. Il semble satisfait de son évaluation parce qu’il conclut « Vous êtes une indépendante, comme moi. On se bat pour rester libre, le vrai problème, c’est les taxes. ». Il me pose pleins de questions, me demande ce que j’écris, d’où je viens, comment se porte le marché de l’emploi en France. Quand je lui demande s’il est napolitain, son visage se ferme. Ses yeux sombres ricochent dans le rétroviseur pour percer les miens avant de répondre « Je suis d’ici, oui. » Ses mains serrent le volant et il ne dit plus rien. Le jeu des questions lui-même est un enjeu de territoire. Pour détendre l’atmosphère, je le réconforte dans ma posture de touriste et lui demande quels sont, selon lui, les plus belles choses à voir ou à visiter. Il me trace un itinéraire que je note phonétiquement sur mon téléphone avant de terminer son énoncé d’une seule phrase : the most important, you enjoy Napoli and the people. 

    Jusqu’à la veille de mon départ, 23h30, je ne savais pas où je dormirais. Cindy me donne l’adresse de notre crèche située dans le quartier de la Sanità, où Rosario me dépose. Elle m’ouvre la porte en corset, jupe de soie et pantoufles, on dirait qu’elle a toujours vécu ici. 

    – Tu veux un café ?

    – Je suis venue pour ça. 

    Un homme assez âgé surgit de la salle commune du bed and breakfast. C’est Michele, l’ange gardien du lieu. Il ne parle qu’italien, envoie des GIF kitsch sur whatsapp pour nous souhaiter la bonne journée et se contrefiche visiblement de savoir si oui ou non nous comprenons ce qu’il dit, encore plus de ce que nous lui disons. Il me tend mon café dans une petite tasse en plastique en forme de dé à coudre. Le premier shot de caféine ouvre mon crâne comme une fleur. « Allez viens, on va prendre un petit déjeuner » me dit Cindy.

    Nous descendons le corso Amedeo di Savoia jusqu’à Cafiero, une petite enseigne ne contenant qu’un comptoir et une grande table ronde en plastique posée sur le trottoir, entourée de chaises de jardin. J’ai faim. Je demande deux sfogliatelle et un café. Assises à table, le patron, un sec et fin moustachu grisonnant, inonde mes pâtisseries de sucre glace avant de s’installer avec nous. Il a décidé, lui aussi, de nous adresser la parole uniquement en italien. Cindy lui explique tant bien que mal que je viens d’arriver pour la semaine. La bouche pleine de pâte parfumée de zestes d’orange, je hoche la tête en souriant. Je remarque qu’il porte un t-shirt sur lequel est imprimé un article de journal mentionnant sa boutique. Quand il repart s’affairer, mon attention s’arrête enfin sur le chevalet disposé à l’entrée du café sur lequel se dresse une photo de lui, jeune, pendu au bras de Maradona, tous deux debout derrière une énorme masse sur lequel il l’a représenté, entièrement peint à la main. Cindy m’explique « c’est Vincenzo, on l’appelle le pâtissier de Maradona parce qu’un jour il lui a fait un gâteau qu’il a beaucoup apprécié, il en est très fier. » Je prends un troisième café. Plus tard, je retrouverai le peintre sur crème épaisse dans une vidéo où il raconte cette expérience magique en concluant par ces mots : souvenez-vous, les artistes ne meurent jamais.

    Il est temps de se mettre en route, de voir ce que Naples a dans le ventre. Nous saluons Vincenzo, que nous croiserons désormais tous les matins de notre séjour, chaque fois attablé aux côtés de personnes différentes et accueillant l’intégralité du quartier dans ce boudoir à ciel ouvert. 

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