Catégorie : Bits&pieces 2025

  • bits&pieces janvier 2025

    Les chroniques de poche sont diffusées sur le compte instagram de La Beautaniste chaque semaine. Vous y retrouvez les bits&pieces, format hebdomadaire, et quelques hors-séries !

    5 janvier – En 2025 j’ai déjà mangé une barbapapa avant une barquette de frites repoussé mon réveil quatre fois commencé à lire un livre qui me faisait peur en 2024 bu plusieurs gorgées de tsipouro sous une lampe qui fait comme un coucher de soleil décidé que je me ferai mettre des flammes au bout des ongles dit je t’aime relu le journal intime de mes 14 ans rencontré un homme-lune et Gargantua qui dansaient dans un carnaval enchanté vu des lustres accrochés dans les arbres pris un bain écouté de la musique attrapé la crève vu un derviche tourneur sur scène écrit quelques mots quelques souhaits j’ai été saoulée de rentrer sous la pluie dans le froid de canard j’ai recommencé mon livre préféré au monde celui que j’aurais dû écrire décidé que j’apprendrai des bases d’italien et que je voyagerai plus j’ai ri je suis tombée sur le croisement de la rue Belmondo Père et de Gershwin et j’ai eu envie d’y vivre regardé beaucoup de photographies de paysages et de femmes dangereuses j’étais vénère aussi il a fait beau j’ai fumé une clope écouté le bruit des gouttes sur la verrière de l’atelier décidé de tout recommencer hâte de voir ce qui va se passer même si j’en ai ma claque d’attendre travaillé sur mon impatience parce qu’il reste 360 jours et que déjà, c’était pas mal de trucs.

    12 janvier – Pas envie de parler de moi alors je vous suggère des récits de femmes qui parlent d’elles dans ma bibliothèque. Elles me rappellent qu’il faut au moins tenter d’écrire tous les jours. Je réalise en faisant cette sélection à quel point, si elles restent minoritaires en nombre par rapport aux hommes, elles ont petit à petit réussi à investir mes étagères. Il y a sept ans, je n’étais en possession d’aucun livre écrit par une femme. Je n’étais pas capable d’en citer dix. Pourtant j’avais moi-même toujours eu envie d’écrire.

    * Mes saisons en enfer, Martha Gellhorn (celui que je lis en ce moment)
    * Journal 1973-1982, Joyce Carol Oates
    * Reborn, Susan Sontag
    * La trilogie de Copenhague, Tove Ditlesen (une de mes prochaines lectures)
    * Chelsea Girls, Eileen Miles
    * Carnets intimes, Sylvia Plath
    * Journal d’un écrivain, Virginia Woolf
    * Ce que je voulais vous dire, Anaïs Nin (son oeuvre sont ses journaux, si vous vous les procurez, mais ce livre est une excellente introduction à sa réflexion ainsi qu’à sa construction personnelle)
    * M Train, Patti Smith (mon préféré)
    * Pour tout vous dire, Joan Didion
    * L’atelier noir, Annie Ernaux
    * Ecrire, Duras

    19 janvier – « Si je devais parler de toi », j’ai dit à Sophia les crocs agrippés à mon cheesy burger, « je parlerais de la quantité astronomique de lingettes nettoyantes que tu sors de ton sac pour baptiser d’anti-germes tout objet ou surface en contact avec ta peau ». Parce que je considère que c’est le détail qui la caractérise le plus. Mais j’aurais aussi pu choisir le moment où je lui ai annoncé la mort de David Lynch et qu’elle s’est arrêtée en plein milieu du trottoir et qu’elle n’a plus rien dit. On venait de sortir d’un concert à l’UNESCO où elle m’avait invité à la dernière minute pour écouter la symphonie méditerranéenne d’Evanthia Reboutsika. J’aurais aussi pu dire en premier quelque chose qu’elle m’a offert, l’émotion qui m’a fondue en larmes au son des tambours Gnaoua et du kanonaki parce que c’était une joie telle que j’avais le coeur à vif ; ou parce qu’elle sautillait partout sur scène, Evanthia, avec son violon rouge, sa longue tignasse blonde lâchée et sa robe rose bonbon le regard espiègle sous les yeux des ambassadeurs grecs, égyptiens, marocains et monegasques. J’aurais aussi pu parler des mots-clés employés par ces diplomates pour parler de la musique qui allait être jouée ce soir, qui nous étiraient de part en part comme le crin d’un archet, la nostalgie et l’espoir. Que la musique c’était comme la mer parce qu’elles rassemblaient nos différences, naissaient de notre diversité. Que l’un d’entre eux, comme tous, à mentionné dans son discours introductif le cessez-le-feu à Gaza, et que les applaudissement étaient là mais restaient prudents tellement tout change sans cesse et peut basculer du jour au lendemain. Il a dit « Parce que nous fermons nos yeux, nous sommes incapables d’ouvrir nos bras ». J’aurais aussi pu parler de Sophia en disant ce qu’elle me dit toujours c’est qu’elle a du mal à ressentir le présent, qu’elle pense toujours à ce qui va venir ensuite, que ce sera fini, et que ça la rendra triste. J’ai répondu que j’écrivais pour ne jamais l’oublier.

    Letizia Battaglia

    26 janvier – J’ai chopé la crève ce qui fait que je ne sais plus du tout sur quoi j’avais prévu d’écrire cette semaine, les derniers jours se sont fait écraser par les killimandjaros de mouchoirs usagés. Ça dégoute, et en même temps, j’aurais tellement envie de partir en voyage au soleil, à l’autre bout de la terre, que l’idée m’a traversé un instant d’imaginer un décor de paysage de safari tout en Kleenex sur le mur à côté de mon lit. Je sais qu’hier soir en rentrant dans la nuit je prenais le chemin habituel et la scène se jouait un peu au ralenti. Je suis passée devant les mêmes restos que d’habitude mais j’ai pensé « on ne regarde jamais vraiment les gens qui mangent et se réjouissent d’être ensemble. » On ne regarde pas les gens autour parce qu’au boulot dehors partout il y en a tellement tellement de visages qu’on ne reverra plus jamais et qu’on oubliera même si on venait à les recroiser, on ne s’en souviendrait pas. En ce moment j’ai grave envie de les prendre en photo. Comme ce mec dans le métro qui est rentré dans le wagon et portait un chapeau de cow-boy en feutre marron cerclé d’un fil de cuir et de quelques perles dansantes, lunettes de soleil de montagne bleu électrique et guitare dans le dos. Avec son micro il n’a pas joué, pas de musique, et n’a pas chanté, n’a pas demandé d’argent, mais s’est écrié qu’il attirait notre attention, qu’il cherchait une femme de plus de 28 ans qui accepterait de sortir avec lui. Il a ajouté « Vive l’amour ! tentons notre chance ! » avec sa voix trafiquée en auto tune et un grand sourire aux lèvres. Le micro s’est mis automatiquement à chanter une chanson sur l’amour tout seul pendant quelques secondes, comme un jingle, puis il a remercié son audience et s’en est allé. Aucune femme du wagon n’a répondu à son appel.