Catégorie : Bits&pieces 2023/4

  • Hors-série : Chronique insulaire

    Les chroniques de poche sont diffusées sur le compte instagram de La Beautaniste chaque semaine. Vous y retrouvez les bits&pieces, format hebdomadaire, et quelques hors-séries !

    Les (grandes) vacances ont des caps. Cet été, je n’avais pas écrit une ligne, sachant combien les mots sont des ports d’attache. Je suis délibérément restée dans la bulle d’écume qui m’enveloppait et qui a commencé il y a 23 jours, sur le continent (comme on l’appelle ici), dans un bain avec une coupe de champagne. Quatre semaines de dérive brute. Sur une île. Mon île que j’aime égoïstement. Ça promettait un journal de bord excitant. Pourtant, rien. Je résumais mes journées par « j’écris peu ». Ça marinait dans le bocal. Mais la nature rattrape, il était temps d’accoster. Je me suis tournée vers mes boussoles : Nord – le repos, Sud – la chaleur, Est – la lumière, Ouest – l’horizon. Quatre points cardinaux (pas nécessairement dans cet ordre) qui ont marqué mes pas tous collés de sable au retour de la plage. Ils échoueront ici.

    Cap au Nord 

    Le repos, ce n’est pas simplement dormir ou changer d’air ; c’est la patience d’attendre que quelque chose se passe. Au début des vacances, je mets en place des stratagèmes : dévêtir l’uniforme de la ville, des réveils matin, changer de routine, perdre du temps par tous les moyens possibles, pour me prouver que ça y est, j’y suis enfin. J’ai récité la formule magique qui devrait accélérer le processus, pourtant, rien ne se passe. Jusqu’à ce moment, où, ayant fait tout autre chose, je me suis extirpée de la torpeur. Comme si trouver le repos n’impliquait surtout pas de le chercher.

    Mon pote Mackenzie dirait que le meilleur moyen, c’est de méditer. Je le crois. Si méditer signifie bien bouffer. Couteaux à la mangue et soupe de fruits, homard au beurre tout juste pêché et grillé au barbecue (mangés avec les doigts), quatre quarts et far bretons, paella maison, churros party dans des bols de chocolat fondu, bar sauce gribiche et pommes de terre de l’île vapeur, spaghettis à la sicilienne et tomates du jardin, crêpes salées, crêpes sucrées, le tout arrosé de ty jaune, cidre, rosé, et cocktails en cubi pour les pique-niques sur la plage. Cette liste non-exhaustive du plaisir, agrémentée de bains de mer quotidiens, de siestes profondes dans des draps bleus, pose les bases. Ça, et les moments de grâce auxquels on ne s’attend pas. Comme retomber en enfance, sauver une libellule rouge (baptisée Red) de la noyade, et attendre deux heures sur le sable, à coup de soleil et d’un peu d’eau claire pour nettoyer le sel, qu’elle reprenne des forces. Plus tard, on apprendra qu’une libellule qui se pose va peut-être mourir. Est-ce que c’est ça, le risque de ne plus rien faire : faire de la mousse ? Je n’accepte de quitter la terre que pour le plus beau caillou aux portes de l’Atlantique, et préfère de loin m’immerger dans les bulles bouillantes, relaxer les muscles et continuer de vivre en chaise longue le long de la fenêtre, avec la ferme intention d’y rester, longtemps.

    Cap à l’Ouest

    Aimée Alexandre écrit : « À l’âge où les garçons décident de refaire le monde, Tchekhov a décidé de se refaire lui-même (…) il aurait pu faire siennes les paroles de Miller : « le type qui a envie de faire sauter le monde est la contrepartie de l’imbécile qui s’imagine qu’il peut sauver le monde. Le monde n’a besoin ni d’un destructeur ni d’un sauveur. Le monde est, nous sommes. » » Preuve que partir à l’aventure, quand ce n’est pas de soi-même, rend hommage au reste, sans l’altérer ni le conquérir, juste le traverser.

    Comment introduire l’excitation depuis mon île, de ressentir ce monde et l’envie de l’explorer ? J’avais poursuivi l’observation du sol, qu’après plus de quinze ans, je continue de découvrir, et réalisé un rêve : celui de marcher sur l’eau. Arrimée de « Sur la route » pour le plat et de « L’océan est mon frère » pour la houle, de Kerouac, un dans chaque poche arrière de mon jean découpé aux cuisses, je partais. En zodiac, à la pêche où à cinq milles des côtes, j’ai frôlé l’aileron d’un dauphin ; puis foulé une île proche de la mienne. Sa plage réminiscente me transporta au Portugal, le bout, s’enfonçant, érodé millénaire, sans falaise pour le protéger, me fit penser que c’est à ça que devrait ressembler le Cap Horn. Si on avait continué tout droit sans s’arrêter, on aurait atterri en Afrique, ou au Canada. Le monde ne faisait qu’un. Plus de flore endémique, car partout poussent les lys blancs et les immortelles sur la dune. Il fallu quitter ce port sans nom, saluer mon premier marin à jambe de bois. Repartir au triple galop, zigzaguer entre les navires concurrents, déposer, au passage, quelques pêcheurs ivres pris en stop, faire la course au dieu dragon dévoreur de ciel dans les nuages, et rentrer au bercail. Insensible au mal de terre, je dépassais les vendeurs de coquillages et de météorites en sable, gravissais, à la marée qui s’était retirée pour me laisser passer, le Gros Rocher en haut duquel sommeille une ruine. Depuis le fort il ne reste que quelques pierres, et l’infinité de l’horizon.

    Cap au Sud

    La quête de l’été se résumerait souvent à notre désir de migrer vers une terre chaude. Où le beau temps est assuré, donc pas à Tigreville, même s’il a fait 17 jours de soleil en juillet. Partout, nous avons guetté la météo, la rendant maîtresse de notre humeur, de nos activités, de nos fêtes. Seuls les insulaires peuvent échapper à cette dépendance. Oui, le temps change vite au-dessus d’un caillou. J’y ai même établi un règle qui dit que pluie matin sera soleil après midi, et vice-versa. Devant notre incapacité de prisonniers à fuir une grande marée orageuse ou des tourments de vents, il ne nous reste plus qu’à nous tourner vers la chaleur humaine. Rien de mieux pour monter en température, et je ne parle pas de plages nudistes. Simplement que sur mon île, on s’y retrouve tous les ans, depuis 10 ans, 20 ans, 30 ans, et que notre emplacement de plage habituel s’élargit proportionnellement. On finit par faire des pique-niques à 25 sur le sable, ou des apéros dinatoires en allure de buffets de mariage, les restos étant devenus trop étroits pour accueillir chaque tribu. De temps en temps tout de même, l’île nous réunit toutes et tous, sous un feu d’artifice, chez l’éternel glacier où chacun a sa combinaison de parfums attitrée (deux boules cassis, pour ma part), ou à la fête de la sardine, devant un concert de Dire Straits en contrefaçon. Nos bars ne prennent pas une ride, même si parfois les soirées slam remplacent les DJ sets, on s’accomode. Negativity can destroy yourself. Malgré l’isolement, chaleur mondiale, aussi. On traque le réseau entre deux baignades pour hurler « Teddy champion » parce que bien loin, qui nous semble l’autre bout du monde, Paris est une fête, elle aussi. Avec toute cette agitation, c’est devenu la canicule, et un sèche-cheveux géant souffle à toute berzingue alors on finit tous à la mer, on se mélange comme l’écume des vagues en oubliant qu’il faudra se dire au revoir, que même si on se reverra ailleurs, ce ne sera pas ici.

    Mention spéciale à mon autre chaleur, Ulysse, qui a quitté Ithaque pour la Bretagne, et se transformer en golden retriever de mes voisins.

    Cap à l’Est

    Il y a quelques années le Louvre présentait sa grande exposition Léonard de Vinci. Je n’avais pas eu l’occasion de m’y rendre, jusqu’à ce qu’ils proposent de l’ouvrir trois jours et trois nuits supplémentaires. Passer la nuit dans un musée était un rêve de gosse, alors j’y suis allée vers trois heures du matin, en sortant d’une soirée. J’en ai retenu cette page de carnet que j’ai oubliée de prendre en photo : « étude du reflet des rayons du soleil sur la mer ». Je n’ai jamais réussi à la retrouver depuis, et donc, je ne l’ai jamais oubliée.

    Je parle de cap en sachant que tout l’été, j’ai attendu que mon phare, l’écriture, s’illumine. Je craquais une à une les allumettes d’une grande boîte mais aucune ne flambait. Entre ça et choper le scorbut, je ne sais pas ce qui est pire. À sentiment acharné, j’ai attendu. J’ai dit sans cesse « j’écris peu » mais j’ai écrit « le retour à l’écriture, tout le temps ». J’attends encore. Ce qui sommeille dans un leurre frétillant au bout d’une la ligne ; les arcs-en-ciels de rayons du soleil sur la peau du ventre qui relient mes grains de beauté en constellations diurnes. Crier terre en vue sur un zodiac à toute vitesse. L’éclair d’un souvenir d’enfance, enfoui à la croque au sel sous le sable. Lire des poèmes avec les lettres d’un prénom. Rougir, même par temps couvert. Partir à l’aventure en sachant que sur l’île, par le passé, s’est échoué le Prince de Conti, chargé de lingots d’or. Téléphoner à l’autre bout du monde pour capturer ce que la nuit absorbe. Traquer le jour, dans un Temps qui s’est arrêté. Ne surtout pas vouloir clipser cette capsule. J’ai pas mal pensé à cette phrase d’Aimée Alexandre, « Tchekhov pensait que la vie l’empêchait d’écrire, et l’écriture de vivre », dont le débat est vu et revu par tous les écrivains. Au fond, je n’ai pas d’avis. Ça me soûle de trouver des réponses, comme l’air marin, comme le punch sur le port. Mais je repense tout de même à cette page, au Louvre, que je continue de chercher, avec l’espoir de la retrouver un jour, et comme Dean sur la Route, la quête me suffit.