Les chroniques de poche sont diffusées sur le compte instagram de La Beautaniste chaque semaine. Vous y retrouvez les bits&pieces, format hebdomadaire, et quelques hors-séries !
10 avril – C’était le départ en vacances, et je pensais qu’on se lèverait à quatre heures du matin, mais finalement c’était pour se recoucher et ne partir vraiment qu’à midi. Que le soleil nous suivrait jusqu’au bout de la côte mais il a fini par nous lâcher, et on est restés plongés dans la brume humide. Qu’on était passés devant la maison de Marcel Proust mais en fait ce n’était pas la bonne, et je me suis dit tant pis, et puis on a fini par passer devant quand même parce que c’était sur la route. Que je lirai dans la voiture mais en fait j’ai dormi en écoutant des instru de guitare en boucle. Que je louperai la mer parce que j’étais allongée sur la plage arrière et que je regardais la page blanche du ciel, mais non, elle était là, je l’ai sentie arriver, et elle sentait bon. Que je boirai de l’eau parce que je crevais de soif mais je me suis retrouvée même si j’avais pas de monnaie avec une cannette d’Orangina chaude sur le bateau. C’était pas si mal. Que le vent serait froid et la houle brutale, en fait ils étaient doux et légers. Que c’était le départ en vacances, sans savoir que ce serait le départ de quelqu’un. Surtout, je ne pensais pas ressentir cette brise en arrivant sur mon île, qui prendrait mon visage entre ses doigts comme un câlin, et déposerait ce baiser moite. Parfois, les choses ne se passent pas comme prévu.

14 avril – L’arrivée en vacances, c’est un peu comme essayer de rentrer dans l’océan à douze degrés en bikini. J’ai envie d’y aller sans réfléchir, en courant, mais il y a la première vague a passer. Celle qui mouille le nombril. Pourquoi je le fais, déjà ? J’étais bien, au chaud dans le confort de la berge, mais j’y peux rien quelque chose manque. Alors je trempe les pieds qui saisissent, puis les cuisses, le doute, et là, l’horizon s’apaise d’un coup, silencieux, l’air de dire vas-y putain tu vas regretter sinon. Alors je m’en fous je plonge. Tout mon corps s’électrise, remonte à la surface en criant, et le soleil se précipite en courant le long de la plage pour m’enrouler de sa serviette en râlant je te l’avais dit, je te l’avais dit, bon dieu de bois. Tu vas être malade. Mais non, je me suis seulement décrassé l’âme. Et après, c’est de rentrer dans la voiture la crinière au vent bouclée de sel, de traverser les champs de pâte d’amande et de pain chaud, de repenser en souriant à cet énorme tatouage dragon qui dépassait d’une raie dessinée à l’encre de chine, parce que les vagues faisait tomber le slip de ma voisine de mer. D’arriver en ville, de s’asseoir par terre, à côté des transats sur le bitume, et d’écouter la voix d’un ange qui fait la fête. Le soleil se couche et j’ai oublié depuis quand j’étais là, tous les souvenirs se mélangent. Mais je crois bien que la journée se termine avec une coupe de champagne à la main, et l’oreille douce d’un golden sous le coude. C’est connu, depuis toute l’île, selon les vents, on peut entendre le klaxon du bateau qui arrive à quai pour venir nous chercher.

21 avril – Je pousse la porte, qui a été remplacée parce qu’un mec a foncé dedans tête baissée l’autre soir au point de fissurer le verre dans une forme de cul de bouteille. Je grimpe sur un des tabourets de bar, on se demande si ça va en français, en italien, sous de vieilles affiches de films des années 80. Tu étais partie où ? Au musée. Ils ont tout arrêté à l’entrée parce que j’avais laissé mon couteau suisse dans mon sac. J’ai dit au mec de la sécurité que je viendrai le récupérer parce que je l’avais trouvé sur le toit d’un couvent à Rome et que j’y tenais beaucoup. Il m’a demandé « vous êtes française ? » et j’ai souri. Je ne sais pas quoi commander. Tu vois la dame au fond qui vient d’arriver, je sais déjà ce qu’elle va prendre. Les habitués commandent toujours la même chose. C’est vrai que du coup, je finis par commander la même chose. Un autre mec à l’autre bout du bar, brun, un peu petit, pull cachemire bleu, commande la même chose que moi. Les verres se remplissent. Le romain et le milanais doivent assurer la danse. Au bout de quelques minutes, il fait trop chaud. Il y a trop de monde. Ils se déshabillent, sous leurs sweats fatigués se cachent un t-shirt bleu et un polo rouge. Sous les lumières jaunes, je note sur mon calepin jaune l’expo que je viens de quitter et qui m’a éblouie. Défilé de cocktails rouges, bleus, jaunes. On se croirait dans un film de Godard. Il est tard, il faut rentrer. Tu pars déjà ? Le milanais me tend son briquet bleu. Tu seras là demain ? Oui, et on aura le temps de se raconter des histoires.
