Les chroniques de poche sont diffusées sur le compte instagram de La Beautaniste chaque semaine. Vous y retrouvez les bits&pieces, format hebdomadaire, et quelques hors-séries !
5 mai – J’ai eu le dos bloqué. Ça m’a fait penser à ce livre de Foenkinos que j’avais lu ado d’un type qui avait tout le temps mal au dos. Le bouquin s’appelait « Je vais mieux », et la vie de ce type avait vraiment pas l’air enviable. Je sais plus du tout comment j’avais eu ce bouquin. Un peu comme quand je regarde n’importe quelle série policière pas au niveau d’Agatha Christie, j’ai tout de suite compris que le mal de dos était symptomatique : plus le mec agissait pour régler un à un les trucs qui craignaient dans sa vie, moins il avait mal au dos. Perso, tout va bien. J’ai juste tendance à vouloir tout porter. Alors j’ai essayé pleins de trucs, des baguettes de sourcier jusqu’à l’ostéo qui dit « attention, ça va craquouiller » quand je lui dis que j’ai horreur des os qui craquent et elle elle joue du xylophone avec ma colonne vertébrale CRAAAC. Ça a craqué comme le tonnerre qui a duré deux heures alors que j’ai peur de l’orage. J’ai pensé au bruit des vagues pour aller mieux, et j’ai ouvert grand la fenêtre, laissant entrer les éclairs et le bruit de la pluie. J’ai rêvé de chaussons rouges à lacets sur une terrasse grecque, de faire la fête, de ses yeux bleus, et que je mangeais des fraises, parce que c’est enfin la saison des fraises. J’ai pris le train, sous le soleil couchant. J’ai eu un fou rire à propos d’un pet de chat. J’ai défendu mon droit de libraire à choisir les ouvrages que je mettais en avant – pas ceux qui appellent à la haine. J’ai vu un film japonais qui dure 3 heures sur Tchekov et l’amour, et une série géniale sur le cancer et les disputes de famille, ça m’a réparé. J’ai chanté dans ma chambre et au boulot. Elle a peint mon oeil et je me suis vu dedans. Après tout ça, j’allais mieux.

12 mai – Lecteur, ce que je vais te dire ne t’apprend rien. Confiteor. Il y a des livres qui marquent nos vies pour toujours. Heureusement, ils nous sont propres. Je t’avais bien dit que je ne t’apprendrais rien. Sur ma liste figurent le Comte de Monte Cristo, Moby Dick, les Mémoires d’Hadrien. De grands classiques, rien de bien original, mais qui m’ont accompagné. Après leur lecture, ma vie n’a plus jamais été la même. À part de ces monuments de notre temple personnel, figure une catégorie au sein de laquelle somnolent les livres qui ont été de paire avec des périodes d’écriture prolifiques. Quintessence de l’appui, de la recherche. J’étais persuadée que ce serait Proust, le chant des sirènes du manuscrit que je tisse depuis plusieurs mois. J’y croyais dur comme fer. Le hasard, dans la main d’un ami libraire, m’a intercepté pour mettre entre les miennes un écrivain catalan dont j’ignorais tout : Jaume Cabré et son Confiteor. Confiteor, Proust est resté au placard. C’est ça avec les livres, on ne décide jamais rien. Je le termine à l’instant, c’est-à-dire hier, fin d’après-midi, sous la glycine. Les bourdons me butinaient les jambes, perlées, humides. Je n’ai versé qu’une seule larme. Je ne voulais pas extraire le reste de la houle. Te garder autant que possible maintenant que je t’avais ouvert et fermé pour la première dernière fois. Ma vie n’a pas changée, Confiteor, tu ne m’as pas sauvé. Tu m’as porté, tu m’as offert une voix, merci. Je n’ai pas envie de parler d’autre chose aujourd’hui. Lecteur, je me permets ce paragraphe égoïste. Confiteor. Confiteor.

20 mai – C’est l’histoire d’une jeune femme qui commence dans une maison au fond de la forêt, là où on lui donnait le sein, et qui se termine devant un brasero, un cigare dans la main et une coupe de vin doré dans l’autre. Entre temps, elle en a vécu des aventures, avec comme bande son Modern love de Bowie en boucle. Ça partait sur un bon présage, celui de se prendre pour Joe March après une claque énorme à regarder Little Women. De se pointer au boulot dans la jupe gonflée de Monica Vitti, à ranger des piles de livres sous la pluie de diamants tropicale du mois de mai. De lire Sylvia Plath au lit le matin, en pleine conférence céleste. Ah, que la vie est belle, et on était que mercredi. Il faisait un temps radieux, alors elle partait plus tôt le matin, pour passer devant la fontaine Saint-Sulpice et sous le chant des hirondelles, elle avait l’impression d’être à Rome. Le jeudi, jour de repos. Alors elle craque quelques os, boit un cappuccino bien onctueux et confie son visage aux doigts talentueux d’une toile, tout en pêchant la méduse noire dans des rouleaux de papiers Sennelier – qui ressemblent à de la peau de mouton et ne sentent même pas le livre. Vendredi, détour par la Grèce au grand sourire, avant samedi, d’assister à une oeuvre qui bouleversa sa vie. Elle y repensera sans cesse, dans le train qui lui fait quitter la ville le lendemain matin, après avoir pleuré, après être restée jusqu’au bout, et avoir écrit quelques mots pour s’en souvenir à jamais. Et la revoilà, entourée d’une foule devant les flammes et quelques tentacules de poulpe grillé, baignée jusqu’au cou dans l’ivresse, mais pas celle que vous croyez. On lui demande « alors ? », elle ne veut pas choisir le mot de la fin.

26 mai – L’idée m’a tourné autour comme un papillon qui volète mais je n’ai pas pu te saisir. C’est la faute de la fièvre. La fièvre qui brûle mes joues comme ton papillon qui s’approche trop de la flamme et tout ce que je pense c’est comment est-ce possible que je prenne toujours le même trajet en train et que chaque fois il m’apparaisse différemment comme si je le découvrais pour la première fois, comme quand je vis une émotion et que je t’ai dit l’autre jour pourquoi j’ai toujours le sentiment d’éprouver quelque chose comme si j’étais un nouveau né et que tout me prenait comme un raz-de-marée pour m’emporter au large. Comme si le passé n’avait jamais rien appris. Tu le sais toi ce qui donne la fièvre ? Si c’est un truc dans l’air ou qui pousse dans la tête comme un champignon ou le manque de sommeil ou la pleine lune je ne sais plus où je voulais en venir. J’étais dans le bus et un homme faisait le bruit d’un chien qui pleure, il jappait et ça m’a fait sourire, de grâce, mais moi tout ce que je voulais c’était danser dans la rue dans la chambre partout et autour de nous les gens ne nous comprenait pas mon ami parce qu’ils ne sont pas comme nous qui voulons tout renverser. Je ne sais plus si c’est la fièvre ou un coup de soleil, pendant des heures à scruter le ciel, à travers le plafond et l’inconstance des nuages toujours, l’inconstance des nuages. C’est à devenir dingue. Comme l’humeur, celle qui change, un regard, provoque un effet Dorian Gray sur mon visage peint. Un dos, c’est bien plus beau à regarder, et les grains de beauté dessinent des constellations le voilà le vrai ciel que tu devrais embrasser, car tout y est gravé. C’est peut-être là qu’elle se cache, la fièvre, que le mal débloqué a libéré. Je t’ai demandé conseil comment la vaincre et tu fais quoi toi quand t’en as de la fièvre, à part boire, et tu m’as répondu « boire, ou du shadow boxing » je n’ai rien pu faire que d’éclater de rire. Promis je t’appellerai demain mais pour ne rien te cacher je ne sais plus si je vais bien, si je suis saine, si j’écris un livre ou un billet d’humeur, ce que je lirai tant qu’il me manque, tout ça à cause de la fièvre.
