Catégorie : Barcelone 2023

  • Croquetas de crónicas (1/2): le vrai visage de Barcelone

    Je suis repartie à l’aventure dans l’une des villes dont tout le monde parle, au point que j’avais toujours été réticente à y pointer le bout de mon nez : Barcelone. La ville de Gaudí et de son mécène Güell, des Palau, des casas, des casseroles de paëllas sur les bancs de sable de la Barceloneta, aux parcs sauvages et à la Rambla gorgée de monde ; la ville des rues étroites du Barri Gòtic, des vitraux flamboyants de la Sagrada Familia qui toujours veille, incomplète, au rythme du parcours du soleil et de son atmosphère douce et de lenteur, dans laquelle je plonge la tête la première.

    À force d’entendre parler de Barcelone à tous mes retours de vacances depuis l’école primaire, j’en avais une idée très imprécise. Un lieu au goût de tout le monde est si rare qu’il en devient difficile de le visualiser, même sur une carte. Où se trouve donc cette destination de vacances parfaite ? Au bord de la mer ? Au pied d’une montagne ? Là où l’art fourmille ? Où la quête des bars semble infinie ? Où l’on pourrait manger sans jamais se lasser des plats ? Si la ville rassemble tous ces critères, elle est, avant toute chose, là où il est autorisé, voire culturellement encouragé, de vivre avec deux heures de retard. Mais en dépit du fait que Barcelone me susurrait de prendre mon temps dans chaque chose, je n’allais pas en perdre une miette. Naturellement, je reprenais mes habitudes : une paire de baskets solides, un plan de la ville, un stylo et un carnet. Après un café bien tassé sous le beau temps, tout en haut perchée sur la terrasse de mon Airbnb partagé, j’étais prête à me perdre de nouveau. Avant de descendre la cascade d’escaliers de mon immeuble, je saluais Jorge, l’un des propriétaires, et hochais la tête vers le troupeau d’anglaises habitant la chambre collée à la mienne, qui avait plutôt décidé de vivre la nuit et partait se coucher, répandant derrière elles des restes de perruques à paillettes et de peinture corporelle rose fuchsia qui recouvriraient le sol de la salle de bain.

    Une fois dans les carrers catalanes, souvent désertes le matin, je laisse mes pas faire le reste. Dès les premières heures de déambulation, je m’arrête. Un phénomène que j’ai ressenti lors de mes précédents voyages me frappe de plein fouet. Déjà, tout en haut de la terrasse, je m’étais dit « les toits des plus belles villes où j’ai été se ressemblent : les antennes télé, l’odeur d’un feu de bois, les hommes et femmes s’affairant à étendre le linge, la ronde des mouettes. Encore une fois depuis les sommets je me repère dans la ville face à l’émergence entre les immeubles défraîchis des dômes en tuiles ornées, des clochers de cathédrales, des immeubles modernes. » Là, descendue sur le sol des rues, ce quartier ressemble à celui d’Athènes ; ces balcons où pend le linge m’évoquent Rome ; cette allée d’arbre, Lisbonne ; et ce café, Londres. Ce phénomène, la constatation qu’en réalité toutes les villes se mélangent, nous mettant au défi de nous identifier à chaque coin de rue sans l’avoir jamais traversé, nous rappelle qu’où que l’on soit, nous autre, êtres, appartenons au même plan. Certes, notre position géographique change et le climat varie, mais le souvenir de notre vécu, à l’esprit aéré et plus ouvert, se met au service du monde et de nous, comme un ensemble.

    Je n’oublie pas l’importance des cultures, moteur de notre curiosité, qui pousse cet appel primitif auquel l’humain se soumet, celui d’éclater les frontières. Continuer de parcourir, sans cesse, d’aller au-delà de ce que nos yeux peuvent déceler. Ainsi, je laisse mon corps et ma pensée se confondre, remonter le temps ici, à Barcelone, par le pouvoir de ses architectures uniques. Gravir le Montjuïc et surplomber l’océan de la ville à l’Ouest, prier devant les cimetières à l’allure de quartier de HLM au Sud, m’allonger dans l’herbe du Parc de la Ciutadella pour écouter les musiciens itinérants à l’Est, suivre à la trace les habitants tous vêtus de leur maillot FCB avant un match contre Madrid au Nord, la liste de ce que nous pouvons partager est longue. Sans la variation des noms de lieux, elle s’appliquerait partout. En un mot, ma conquête d’une ville au visage de toutes les autres ne pouvait être que pacifiste, sans effort de ma part d’y laisser la trace de mon passage, dans l’harmonie de la différence et de l’unité.