Auteur : Eloïse

  • bits&pieces septembre 2024

    Les chroniques de poche sont diffusées sur le compte instagram de La Beautaniste chaque semaine. Vous y retrouvez les bits&pieces, format hebdomadaire, et quelques hors-séries !

    1er septembre – J’ai acheté mon premier vinyle à l’occasion de mes vingt ans, alors qu’un coucou m’avait fait atterrir à Grenade pour y visiter l’Alhambra – un des lieux sur ma liste « à voir avant de mourir ». Quand j’y repense, c’est peut-être bien le premier séjour que j’ai passé accompagnée mais seule. Entre l’exploration de la forteresse imposante et la longue descente en pic vers la vieille ville, j’avais entamé ce voyage en trempant joyeusement dans des bains arabes à différentes températures, et apprécié un massage à l’huile de fleur de grenadier ; avant de m’étaler de tout mon long sur une meule géante chaude, sous un plafond de ciel étoilé en mosaïque. Ce qui m’avait surtout frappé, c’est que tous les masseurs s’appelaient Javier. J’étais ressortie de ce lieu parfumée et détendue, et avais terminé dans la nuit, au coeur des palais nasrides, absorbée par la beauté des murs calligraphiés et de la fontaine aux lions. Le deuxième jour, je descendais à nouveau dans le monde des hommes, errais dans les ruelles biscornues, et tombais par hasard devant ce magasin de vinyles à la devanture presque invisible. J’entrais, descendais dans une cave garnie jusqu’au plafond de disques. Je voulais en choisir un, que je piochais au hasard dans la section « jazz » : Lo Mejor de Duke Ellington. Tu es sûre que c’est celui-là que tu veux ? Oui, de toute manière, je n’avais pas le temps de choisir, autant prendre ce que j’avais sous la main. Tu devrais l’écouter quand même, avant. Pour faire plaisir, j’avais laissé le marchand poser son énorme casque sur mes oreilles, entendu les premières notes, et dit : « c’est bon, je le prends ». Une fois rentrée à l’hôtel, je réalisais qu’il ne rentrerait pas dans mon sac. Je l’avais donc rapporté jusqu’à Paris, le tenant dans mes bras comme le plus précieux des trésors de sultans disparus. Je n’avais jamais cessé de l’écouter jusqu’à il y a un certain temps, où il s’était dissimulé, à nouveau, dans ma propre collection. Hier matin, pour célébrer septembre, et faire le deuil de l’océan jusqu’à nouvel ordre, je l’ai fait retentir dans la maison. Je connais toujours chaque morceau par coeur. C’était reparti pour un tour.

    8 septembre – Pour la première fois depuis des lustres, j’aime l’idée d’être à Paris. Pourtant, il y a quelques mois, j’avais prévu d’être, à cette heure-ci, dans un autre pays. Comme dirait Steve McQueen, ça me rappelle l’histoire de ce type à San Francisco qui s’était jeté dans un cactus après s’être mis tout nu ; je lui ai demandé pourquoi. Il m’a dit que sur le moment, l’idée l’avait tenté. Ça, et « c’est pas d’arriver là-bas qui m’inquiète, c’est plutôt d’y rester ». Les 7 mercenaires (J. Sturges, 1960) valurent mieux que n’importe quel bouquin de philosophie pour expier ce faux départ. Peut-être que, comme le dernier album de Nick Cave & The Bad Seeds, ma rentrée serait résiliante, reconvertie. Parce que si cette semaine je courais vers la gare, ce ne fut pas pour attraper un train. Seulement un cocktail au goût de lèvres fruitées. Que faire alors, si je reste, à part me ruiner en tickets de métro à prix doublé ? Je m’accrochais au dernier parfum de vacances, me jetant tête baissée sous la vague bleue d’une ola saturée de monde en plein Bercy, absorbée par une demi-finale de handibasket. J’achetais des livres, pour changer, et finissais par discuter de la carrière passée de cascadeur en cinéma égyptien de Hassan, mon vendeur d’appareils photos préféré, qui lui, n’a pas bougé d’un pouce sous son kiosque millénaire. Tu cherches du travail ? M’a-t-il dit. D’auteure ? Tu devrais partir à Hollywood, écrire des films ! Ça tombe mal, je te l’ai dit, je reste. J’ai un nouvel espace à remplir ici. J’ai déjà commencé par l’habiller d’un mur de cartes postales en oeuvres d’art au-dessus de ma baignoire, et d’une bibliothèque toute fraîche. En parlant de ça, je me suis rendue compte que j’avais rangé les chroniques originelles de Sex & the City de Candace Bushnell à côté des Saisons en enfer de Martha Gellhorn, et je me suis demandée où je me situais, dans ce liseré d’interstice qui me happait tout cru. Cette rentrée était… comment dire, comme ce qu’a dit Flora devant le nouveau portrait : C’est toi, mais différemment. Vivement que je sache ce que ça signifie.

    15 septembre – J’ai encore la tête à l’envers comme cette photo du passé en devanture de l’agence immobilière que personne ne remarque. Peut-être que coller mon cul sur les bancs d’un amphi de fac résoudrait mon problème mais le lendemain je décide que j’aimerais mieux devenir grand reporter. Mattie me dit entre deux sashimis de la discipline Elo, et c’est tout. Mais moi je ne cours pas de semi-marathon. J’aimerais me dévêtir de ce blocage tout ce à quoi je pense c’est que c’est drôle qu’on appelle dénuder mettre à nu et dévoiler retirer le voile. Retrouver ma ligne de mire ne pas tomber dans les travers, mais comme l’a dit Tessa on ne se débarrasse jamais vraiment. Au fond j’aimerais me lover dans la faille intime où la terre a tremblée, c’est là que c’est devenu naturel. Avant de penser à autre chose il est 20h je n’arrive toujours pas à ; les feuilles pleines de mots s’étalent sur la couverture en fausse fourrure alors je prends mes affaires et je file sur le front, c’est-à-dire dans le salon feutré qui m’intrigue en bas de chez moi. J’y arrive mon regard agrippe le livre de Murakami dans la bibliothèque « autoportrait de l’auteur en coureur de fond ». La blague. Besoin d’un verre et vite. Dimitri, qui a fondé le lieu me dit « je suis vraiment désolé, en tant qu’asso, on ne peut vendre de l’alcool qu’à nos membres » alors je réponds « parfait, où est-ce que je signe ? » deux papiers remplis et un IBAN plus tard, je bois des americano ; avant qu’aux douze coups de minuit ce ne soit pas Cendrillon mais Dostoievski qui pousse la porte et s’installe. Il sortait d’un cours du soir de philosophie. Notre chœur en trio peu frais chante un monde où le whisky serait de la vodka et qu’au lieu d’aller se coucher on jouerait bien de la balalaïka. La conclusion de tout cela, c’est que je n’ai toujours pas résolu mon problème. Que remonter le temps ne règle pas les soucis de mémoire. Heureusement, on ne meurt pas d’oubli.

    22 septembre – Cette semaine je me voyais déjà comme Patti Smith à m’entourer d’idoles en petites photos noir et blanc partout pour me donner du courage, mettre du coeur à l’ouvrage. En fait ça s’est limité à un Nick Cave trop classe et le pape François en Vespa sur ma table de nuit pendant la Super Pleine Lune éclipsée. J’ai essayé de rentrer dans une église être touchée par la Grâce mais j’ai surtout vu cette fille et son style et l’échelle qui monte au ciel. Las, je ne sais plus à qui j’ai dit En attendant que mes mots se repointent, le mieux est de retranscrire ceux des autres. Ça a commencé parce que j’ai réécrit cette phrase tirée de la lettre de D.E qui m’obsède One longs to love, one needs to love, but how can one, if there is not the right person to love ? Comme dirait Henry Miller et son bouquin à 250 balles que je n’achèterai pas To paint is to love again, et alors je me suis demandée est-ce qu’on peint pour la même raison qu’on écrit ? Ça se traduisait bien dans ce passage de Laurence Nobecourt que j’écoutais à la radio entre deux passages sur le temps fou qu’elle a pris à passer son permis de conduire Au départ il y a une difficulté à être dans le monde en rapport avec le monde et qu’on ne devient pas écrivain par hasard just for fun il y a quelque chose d’une faille d’un effondrement d’une impossibilité de participer au monde tel qu’il va ; et ça se comprend, parce que comme dirait Flora devant sa peinture quand je lui parle de mon incapacité à entrer dans une routine de travail, Il ne faut pas s’en remettre à la volonté. Si, j’ai quand même écrit un truc cette semaine, la recette du bouillon, et comme dirait ce vers de Laura Ann Hershel extrait de l’atelier d’écriture de Laura Vasquez, Tout ce qui commence à bouillonner à partir de là, – … ce là, cette virgule qui tombe dans le précipice, c’est cet instant que je cherchais à tout prix. Comme dirait Susan Sontag dans son journal I know now a little of my capacity…I know what I want to do with my life, all of this being so simple, but so difficult for me in the past to know. Si vous n’avez pas tout compris, Bolaño disait Excusez-moi ça n’a pas d’importance, même moi je ne me comprends pas.

    29 septembre – J’ai toujours détesté l’expression faire place nette. Ça sonne mal, ça sent le formol et la tête de Marie Kondo. Mais je discutais avec Mam, et elle m’a dit qu’il faudrait que je vire tout ce qu’il y a sur le grand bureau en marbre qui trône en plein milieu de l’atelier, pour écrire. Ça ne me coûtait rien j’aimais l’idée de tout foutre par terre d’un geste comme dans les films quand deux personnes veulent se prendre sur une table du style on en a rien à foutre de ton Mac book à 700 balles. Dans la réalité, j’ai juste pris les piles de feuilles volantes que j’ai posées sur le tapis. Il ne restait que la vaste étendue de marbre blanc qui a tout de suite appelée à ce que je vienne à elle, accompagnée de quelques objets, ceux qui venaient à moi. Ça allait de paire avec le fait que je me rende compte : une forme d’inconfort permet beaucoup plus facilement d’entamer un acte de création. Ça vient aussi de l’épisode de The Big Bang Theory que j’ai regardé cette semaine, quand Sheldon augmente son niveau d’anxiété envers son environnement extérieur pour augmenter sa concentration et sa productivité, un vieux bonnet de bain puant planté d’électrodes chargées de récolter ses données vissé sur le crâne. Là je m’assieds en bout de la table en marbre sur un vieux tabouret qui grince. Je me demande si le vide crée un déséquilibre. Si je lui fais perdre de sa nature crée l’attraction, ou bien s’il impose juste la névrose de venir se combler, et rien d’autre. Dénudée de tout, la table perd sa teneur scénique, elle n’est plus lieux de travail. Juste une grande page froide, absurde, au milieu d’une pièce de bureau. Pourtant je veux la toucher, caresser son faux contact lisse, nettoyer sa surface brute et noble. Ses veines sombres sur sa peau diaphane. Quand je me penche à sa surface et l’effleure, je distingue dans la lumière des traces invisibles de dessous de verre de coups tranchants de cutter un de mes cheveux un défaut comme une cicatrice et que ses bords déteignent. Je ne l’aurais jamais noté si le décor était resté tel quel.