Vie et mort du cow-boy en taxi

La dernier mot du Petit dictionnaire de l’inégalité féminine d’Alice Ceresa est Vie. Sa définition débute ainsi : « Laps de temps au cours duquel les organismes périssables effectuent leurs fonctions organiques. Par extension, laps de temps au cours duquel les organismes supérieurs s’interrogent sur leur propre caractère périssable ; par réduction, qualité accordée de manière générale à la matière vivante. »

Finir avec la vie, donc, et se demander : une fois le temps passé à survivre, puis à ne pas penser à notre date de péremption, que faire de ce qu’il reste ? Ce laps-là fait-il toujours partie de la vie ? Ou bien est-il autre chose ? C’était l’enquête du mois de juin. 

D’abord, j’ai demandé à mes potes comment me vider la tête. Ils m’ont recommandé quelques trucs, dans le genre développer une passion pour les trains miniatures, prendre de la drogue, lire le dernier livre d’Edouard Philippe. C’était tentant, mais j’étais pas super chaud. J’aurais préféré qu’il suffise d’un coup de la baguette magique de Nina Childress, reçue cette semaine à l’Académie française en tenue de Marraine la bonne fée pour remplacer son épée. Ça m’a rappelé que plus jeune je rêvais moi aussi d’entrer à l’Académie, comme Yourcenar, mais surtout, surtout, pour avoir ma propre épée. C’est un truc de pirate.

Ne pas se limiter à remplir des fonctions organiques, c’est aussi apprendre à se raconter en dehors de son être. Wajdi Mouawad le dit, un personnage de fiction n’est jamais immobile. Soit il fuit quelque chose, soit il court vers quelque chose. C’est ce que j’ai tenté de faire en m’éloignant le plus possible de la vague de chaleur pour plonger dans une autre. C’est pas faute d’avoir essayé de m’adapter, d’abord en vivant la vie de cow-boy de mes rêves, à lire McCarthy dans ma baignoire de jardin, m’imaginant tremper mes petites fesses dans l’abreuvoir aux portes d’un saloon ; puis en regardant le ciel bleu immaculé et y voir, comme dans le plafond de la chambre de Jep, la mer huileuse de la Méditerranée. 

Les mains d’Al de Marguerite Piard (2025) en visite de son atelier

Malheureusement, il faudrait attendre encore un peu pour s’échapper et s’y rendre, dans l’étendue d’eau salée. Le mois de juin se résumant à deux activités, on participerait soit à un déménagement, soit à un mariage. Dans mon cas, ce fut le premier, à arracher allongée sur le sol du scotch double-face avec le sentiment d’épiler un dos très sale ; à me demander si les encombrants, au passage, ne pourraient pas en profiter pour embarquer les problèmes perso, tout le reste, tout ce qui ne part pas et qui ne vient pas non plus.

Ne pas m’interroger sur mon caractère périssable, ce fut l’expérimentation de pensées irrationnelles. Comme celles dans le taxi en pleine nuit avec lequel je me retrouve sur le périph’. Il est minuit, ce n’était pas prévu, je n’ai pas envie de rentrer. Ce n’est pas la première fois que ça m’arrive, cette pulsion de demander au chauffeur et si on partait lui et moi, on roulerait jusqu’à ce que le soleil se lève et avec un peu de chance on arriverait en Italie. On boirait un café, je vendrais les escarpins qui me font mal aux pieds. Mais il a sûrement mieux à faire. Ça me rappelle qu’une fois j’ai été récupérer un sac qui ne m’appartenait pas dans le fin fond de la Normandie, chez un chauffeur de bus qui vivait dans un pavillon avec son chat albinos. On l’avait bu ce café, pendant qu’il racontait son séjour dans le transsibérien, son arrivée jusqu’à Pékin. Il s’était dit pourquoi pas, ça donnait envie de le suivre. 

Et puis il y a tous ces moments un peu bizarres, ceux qui n’appartiennent à rien de spécial. Les trajets en métro. Un inconnu qui s’endort sur mon épaule et je me demande si je vais attendre qu’il se réveille, mettre ma propre vie entre parenthèses, on finira bien par me retrouver. Voilà une bonne manière de ne pas vivre. Etouffer un fou rire aussi, parce que furieuse sur la ligne 4 j’écoute Antisocial de Trust pour la première fois depuis que j’ai 15 ans avec un sac rempli de merveilleux fondus et cabossés entre les jambes, assise entre la chemise hawaïenne la plus moche que j’ai jamais vue et une paire d’Onitsuka Tiger Mexico 66 de Kill Bill. 

C’est les trucs qu’on regarde et qui nous prennent un temps fou. Le dernier Mission Impossible, la finale hommes de Roland Garros, les deux premières saisons de Twin Peaks.

C’est faire des recherches pour comprendre. Pourquoi une tasse à café refroidit-elle ? À cause du rayonnement thermique, qui fait en gros qu’un objet chaud va transférer sa chaleur dans l’espace ou qu’un objet froid va tiédir, pour toujours maintenir une température ambiante. À la fin, tout finit par s’équilibrer. Boire son café froid est donc faire preuve d’harmonie. Se satisfaire de cette réponse pour l’instant.

C’est lutter contre l’instinct de survie inutile, celui provoqué par un évènement sans danger, comme la peur terrible de l’orage qui explose en flashs pendant des heures. Le genre de peur que c’est pas cool d’avoir, mais je me rattrape en écoutant les Beach Boys, ce qui me rappelle que Brian Wilson est mort et que ça, c’est ce qui arrive après la vie, et que ça fait bien chier.  

Pour résumer, pas grand chose à faire du temps traqué en dehors de vivre, si ce n’est en prendre notes. Comme dit Ben Horne dans Twin Peaks « Admiration is for poets and dairy cows, Bobby »

Commentaires

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.