La Lettre N°1 | février 2025
À quoi reconnaît-on un bon western ? On dirait que ça ne va jamais se terminer, mais on ne veut jamais trop que ça se termine. Le mois de février est un peu comme ça.
Les librairies sont mes saloons.
On sous-estime aussi le pouvoir du dialogue, dans le western. Ce sont de vraies mines d’or dans lesquelles je me verrais bien tremper, jusqu’à ce que ça déteigne. Au point que l’autre jour je passais faire ma ronde habituelle chez Gibert, et qu’adossée au bureau du rayon Histoire, en pleine discussion, un mec s’est avancé en me disant mi-ironique mi-désagréable « J’espère que je ne vous dérange pas ?
- Oh non, j’ai dit, je suis au comptoir, allez-y. »
Il m’a toisé en ajoutant à propos de ma comparse libraire « J’espère qu’elle vous sert quelque chose à boire ? »
J’ai répondu « Voyez, je bois plutôt ses paroles ».
Il s’est incliné. Je suis repartie en me demandant si John Wayne aurait pu manier le fait d’être à la fois shérif et écrivain.
Un peu comme moi qui travaille dans un lieu d’expo, n’a pas le temps de voir des expos, voudrais plus de temps pour écrire. Ma mère, elle, prend le temps de voir des expos, et m’envoie Hugh Hefner sur son lit circulaire et bureau de Burt Glinn en me disant « c’est toi ». Elle ne s’est pas rendue compte que c’était le fondateur de Playboy. Ça ma tué.

De revoir ce cliché ça me rappelle aussi que j’ai pété mon appareil argentique pendant le montage de l’expo d’Elsa et que j’ai pensé que depuis que je faisais de l’argentique, je passais plus de temps à réparer qu’à prendre de photos. Heureusement, l’expo, elle, est magnifique. J’ai été heureuse d’en écrire le texte. Un texte, c’est beaucoup moins fragile qu’un appareil photo.


Je cherche quoi lire ce mois-ci. Elsa m’envoie « How to write a poem » qu’elle a trouvé dans une revue et je me rends compte en cherchant le nom de l’auteur que la première photo de lui sur internet est celle de son chien. Voilà quelque chose auquel aspirer. J’y pense dans le bus avant qu’un homme avec du poil dans les oreilles sorte de sa poche un bouquin plus vieux que moi Plan de Paris par arrondissements. Il l’a tout de suite incliné comme une boussole pour étudier son itinéraire. Est-ce que les rues n’avaient pas changé depuis le temps ? Les adultes disent tout le temps que rien n’est plus comme avant. Lui, il savait dur comme fer que son trajet centenaire n’avait pas bougé. Moi qui part toujours dans la direction opposée, j’aurais bien aimé qu’on m’écrive « How to read a map ».


Mon trajet m’emmène chez Lucie Faucon, céramiste. La toute première personne que j’ai interviewée pour La Beautaniste. Cinq ans après, on se rencontre. Un de ses fours est en train de refroidir, le cadran affiche 527 degrés. Je slalome entre les jouets de son chien. Son atelier bourgeonne de nouvelles pièces aux couleurs douces. Elle prépare le lancement d’une vente prévue début mars. Je plonge les doigts dans un pot d’échantillons et en ressort un essai d’émail craquelé. « C’est ce que les gens achètent le moins, parce qu’il semble fissuré » me dit Lucie. Pourtant il n’a rien a cacher, ainsi couvert d’écailles. Je repars avec une tasse, que je ne lâche plus depuis.



Il n’y a que 28 jours en février, que 24 heures dans une journée, il m’en reste deux pour aller voir Ribera au Petit Palais. J’en retiens les drapés, un verre à pied, des livres.



Je m’arrête quand même en chemin parce qu’il y a une boutique à la sortie du pont qui surplombe le cimetière de Montmartre. Elle vend des statues de la Vierge, des bijoux fantaisie, sert apparemment du vin et de la glace sous le titre « épicerie touristique sympa ».
Dans trois jours, premiers trois jours de vacances depuis trois mois. Je lis l’Année de la pensée magique de Joan Didion sur qui j’ai écrit quelques mots ici.
Peu de temps après j’embraye avec Le Bleu de la nuit, qui questionne le but même de faire l’exercice de cette Lettre : celui de l’appel aux souvenirs. Didion a la tendance similaire à la mienne, celle de vivre au milieu des totems insignifiants rappelant toujours une personne, un événement du passé. Elle dit qu’ils ne servent « en réalité, qu’à mettre en évidence mon inaptitude à jouir du moment quand il était là ». Inaptitude dont elle n’était pas en mesure de se rendre compte. Je le perçois plus comme un combat contre l’oubli, la perte de ce qui nous a accompagné, et dont le cerveau ne se charge que trop rarement de nous rappeler l’existence.

C’est enfin l’heure de tout quitter sur un fond de soleil couchant et des premiers vers sifflotés de My rifle, my pony and me en hommage à Dean Martin et Ricky Nelson dans Rio Bravo.
The sun is sinking in the west
The cattle go down to the stream
The redwing settles in the nest
It’s time for a cowboy to dream
Purple lights in the canyons
That’s where I long to be


Laisser un commentaire