Les chroniques de poche sont diffusées sur le compte instagram de La Beautaniste chaque semaine. Vous y retrouvez les bits&pieces, format hebdomadaire, et quelques hors-séries !
Pendant des années, ma plus grande peur a été de sentir que je perdais du temps. Je ne supportais pas l’idée de faire une insomnie, qui me donnerait du sommeil à rattraper, je me rongeais les sangs dès que je n’écrivais pas, je travaillais sur dix projets en même temps – que je peinais à terminer. Comme si j’attendais qu’un évènement plus grand se produise, qui n’arrivait jamais : je n’avais pas le temps d’y penser. Alors certes, il m’arrive de me tremper l’orteil dans le grand bassin de la procrastination, dont le meilleur moyen d’en sortir reste une deadline un truc du genre « vous avez jusqu’au 16 décembre (écrit en gras) pour créer votre espace professionnel des impôts, cliquez sur ce lien qui expire dans 48 heures pour confirmer votre adresse email ». D’accord, ce message s’auto-détruira dans cinq secondes, je me bouge. Mais sinon quoi ? J’ai toujours dit que tant que personne ne sonnait à ma porte pour venir me chercher, que ce soit mon ex, les flics, les services secrets ou les finances publiques, j’aurais toujours un peu de marge. En somme, que ce soit pour aller vite comme pour cacher les moutons sous le tapis, le temps était constamment derrière moi. Pourtant, il y a une semaine, quelque chose d’étrange s’est produit. Plus d’un an après avoir pris le réflexe horloger d’écrire une chronique tous les dimanches matin, je me suis rendue compte en déposant des potes à la gare qu’on était effectivement dimanche, qu’il était dix-huit heures, et que ma rigueur s’était envolée loin, très loin dans le ciel. Je n’y avais même pas pensé, un rendez-vous précis, régulier, constitutif de ma pratique d’écriture quotidienne s’était désintégré en un claquement de doigts. En remontant le boulevard la goutte perlant au nez, je fixais la date de mon téléphone en me demandant « Pourquoi ? » Qu’est-ce qui explique que pour une fois, je n’avais pas vu le temps passer ?

Tutto passa, veut dire tout passe. Pourtant, le vrai trait de caractère du temps, c’est sa relativité. Si la finalité m’est connue, je n’ai aucune idée du chemin à parcourir pour l’atteindre. Un peu comme quand Frodon… mais je cite beaucoup trop Le Seigneur des Anneaux en ce moment, promis, j’arrête. C’est dans ce cas précis d’incertitude que je regarde, plus attentivement, autour de moi. Il y a le titre de missives sensibles, entre lesquelles je pêche à l’encornet sur mon île et qui me couvraient toutes d’eux d’encre, « Prends ton temps ». Ou encore les premières lignes d’un livre arrivé par magie dans ma boîte au lettres « Peut-être que le prix à payer pour une vie confortable, c’est qu’elle vous file plus vite entre les doigts ». Le changement d’heure n’aide pas à trancher ma philosophie du cadran. L’actualité qui fait dire putain, quatre ans de plus, non plus. J’en reviens à ce fameux dimanche où le temps a disparu, au retour de la gare, et où je me suis rendue compte que je lui accordais moins d’importance, dès lors que je passais ce temps avec des personnes qui me sont chères, ou bien que je faisais ce que j’aimais le plus. Je ne cochais plus des cases en attendant l’étape suivante, parce que tout se dissolvait et prenait mille couleurs, un peu comme la peau translucide d’une seiche qui n’a pas besoin du soleil pour étinceler avant de me cracher son liquide noir à la gueule. C’est de bonne guerre. Pour une fois, je ne vais pas choisir une seule image pour résumer la semaine, mais surfer sur le temps pour écrire deux fois plus. Mettre à plat pour ne pas oublier (on se refait pas), ne pas rechercher ce qui est perdu, mais dérouler l’arc-en-ciel, qui avait besoin de quelques jours de plus dans le bouillon et le piment d’espelette, pour ramollir et se parfumer, déployer. Rien à foutre de l’algorithme, je fais cque j’veux de ma routine. Quand j’aurais le coeur à, tutto verrà, veut dire tout viendra.

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