bits&pieces octobre 2024

Les chroniques de poche sont diffusées sur le compte instagram de La Beautaniste chaque semaine. Vous y retrouvez les bits&pieces, format hebdomadaire, et quelques hors-séries !

6 octobre – Une part de l’écriture, c’est sa gratuité. Sa couche d’inutile primordiale. Je recherche sur internet : qu’est-ce qui ne sert à rien mais existe quand même ? Le premier lien reprend des tweets à la réponse du genre « L’IGPN, les cartes de journalistes en manif, le conseil scientifique, la déclaration des droits de l’homme, l’assemblée nationale ? » ; le deuxième mentionne des roulettes-à-pizza-fourchette, un cache ampoule de smartphone en forme de lampe de chevet, un pyjama pour bébé servant aussi à récolter la poussière sur le sol (?). Je me perds dans les enrouleurs de spaghettis automatiques et des promos de black friday, des publications ironiques sur la vanité de l’homme sur terre, de la destruction de la nature, d’un « top 5 des animaux les plus inutiles », comme le panda géant, par exemple. Je veux affiner ma recherche, alors je tape simple : « ce qui ne sert à rien ». Une boîte à question propose « quel est l’organe qui ne sert à rien ? » L’appendice. Dans le corps, siège potentiel d’infection, Chat de Schrodinger de ma rencontre avec l’ablation. En littérature, complément de texte, son prolongement. Je suis revenue au point de départ. Au fond, tout ce qui s’est ensuivit de la première phrase de ce paragraphe peut-être considéré comme un appendice. J’aurais pu me limiter à l’affirmation, laisser au lecteur la responsabilité de s’emmener lui-même quelque part. Avoue quand même que ça t’a fait plaisir, ce moment. Grâce à moi, tu as découvert l’existence de l’enrouleur de spaghettis automatique.

13 octobre – Tout le monde dit que c’est parce que c’est la période que j’ai décidé de me refaire le Seigneur des Anneaux en version longue. Du coup je me suis demandé ce que ça donnerait de résumer ma semaine comme une quête épique d’heroic fantasy. Je ne savais pas vraiment ce qui allait m’attendre alors j’ai commencé par tout retourner ranger trier, autant préparer mon stuff au max. Mardi, premier jour de quête, les obstacles s’enchaînent. On a dû me jeter un sort parce que je me tape trois heures de sommeil à rêver que je suis une grosse chenille enfermée dans une chrysalide style rendez-vous médical. Au réveil pour expier le venin je me rends dans une vraie salle d’attente on me prend trois tubes de sang et on me demande si ça me dérange de pisser dans un gobelet, c’était pas prévu, mais c’est ça finalement, l’aventure. Besoin de souffler sous un arbre, penser aux paroles de Gandalf « Il ne nous reste plus qu’à décider quoi faire du temps qui nous est donné ». Retour sur les routes. Je croise une artiste dont le travail m’émeut, +10 points de charisme et rechargée à bloc mais c’était sans compter la potion d’apérol spritz que je prends sans faire gaffe et qui me fait tomber tout droit dans mon premier donjon à subir deux heures de conférence sur Lacan – plus redoutable que n’importe quel dragon. La lutte est longue dans la nuit, je finis par sortir en rampant à bout de forces comme Frodon qui n’arrête pas de se faire perforer par des trucs, et cours récupérer des pv à coup de kebab en mocassins Gucci. Les jours suivants, je me sens déjà différentes, et repars dans la vallée de tas de charbon, linceuls de marbre et stalagmites en néons de glace à l’Arte Povera de la Bourse de Commerce. J’y croise des hommes incrustés dans des miroirs et des mages aux yeux réfléchissants, saute par-dessus des champs de bataille en épines d’acacia, jusqu’à enfin dépasser les nuages. Il est temps de remballer les vagues. En bonne guerrière je quitte le monde inondé par la montée des eaux pour rejoindre mon Valinor à moi, les bras de ceux que j’aime, mes précieux.

27 octobre – L’autre jour je marchais vers la bouche de métro et une femme avec de longs cheveux blancs javel, un manteau de la même teinte un truc en moumoute à vous brûler la rétine et un épais rouge à lèvre violacé m’a accosté. J’ai retiré mes écouteurs, je lui ai demandé de me répéter ce qu’elle venait de me dire mais elle m’a entouré de ses bras grands ouverts en psalmodiant « Mon enfant, laisse-moi te lire les lignes de la main ». Alors moi je veux bien, mais j’avais vraiment pas le temps. Elle a insisté : « Laisse-moi t’apporter la chance, tu verras, n’ai pas peur des chicanes ». Autant, la chance je situais, autant, une chicane, à part une succession de virages contraires en formule 1, je voyais pas le rapport. J’ai même pas le permis. Mais j’avais faim, et je risquais d’être en retard. Je me suis excusée poliment avant de filer à l’anglaise, priant pour que la sorcière blanche n’ait pas envie de me punir à coup de malédiction. Ça m’a interrogé sur l’importance qu’on accorde à nos croyances. Enfant, je m’adressais à « Dieu » en le priant de m’envoyer un signe si le mec de ma classe qui me plaisait éprouvait secrètement un truc pour moi, ou d’attendre un peu avant que mes grands-parents meurent. Et quand on m’a appris à 7 ans que le Père Noël c’était les parents, j’ai trouvé ça franchement dégueulasse. Aujourd’hui, j’entre dans les églises de Rome pour les tableaux de Caravage, je n’ai pas peur des chats noirs, mais je dors mal à chaque pleine lune. Et si, au fond, je ne voulais pas donner de crédit à cette diseuse de bonne aventure sur le trottoir, j’ai fait attention à tous les virages que prenait mon bus dans la journée qui a suivie. Est-ce que croire, c’est avant tout apprendre à choisir, ne pas se rendre à l’univers ? S’offrir une interprétation, comme celle de voir des signes en lisant le vers d’un poème, ou d’une chanson. S’apporter des chemins pour se comprendre nous-même. Regarder en arrière, appréhender le destin. N’empêche, en ce moment je n’arrête pas de trouver des pièces par terre, et je ne vois toujours pas le début de la richesse.
📷 ce qui apparaît quand je tape « chance » dans mon téléphone (Boris Pasternak, Selected Poems)

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