Parler de femmes et d’art, avec Margaux Brugvin

Bonjour ! Je suis infiniment heureuse de vous présenter la nouvelle invitée du projet Rencontres : Margaux Brugvin.

J’ai découvert Margaux sur Instagram, où elle poste depuis le confinement des vidéos IGTV sur les femmes artistes. J’ai eu un coup de cœur immédiat pour le travail ressenti derrière chacune de ses productions, pour le rendu si agréable et instructif et enfin, pour elle.

Il me paraît de plus en plus essentiel de mettre en avant aussi bien des passionnés produisant du contenu par amour de l’art qu’en faveur des femmes artistes, aujourd’hui encore trop peu estimées dans le débat artistique et culturel.

Margaux est une personne très inspirante – je me suis beaucoup retrouvée dans ses réponses à l’interview, et c’est pourquoi il me paraissait évident de vous la présenter ! Eh oui, Pepper elle est toujours dans les bonnes combines, vous commencez à vous en rendre compte.

Sans plus de tergiversions, je vous laisse vous délecter de notre échange. Puisse-t-il vous plaire autant qu’il m’a plu de le réaliser. Bonne lecture !

***

PEPPER : Comment expliquerais-tu ce que tu fais à quelqu’un qui n’en aurait jamais entendu parler ?

MARGAUX : Très bonne question ! J’ai du mal à me définir moi-même, je suis en train de m’inventer un métier, je ne sais pas si ça va marcher et je n’ai pas trouvé de mot qui me convienne encore. Pour le dire simplement, je partage mon amour pour l’art sur Instagram, notamment via des vidéos portraits d’artistes femmes que je poste chaque dimanche. Mais ce n’est que le début de l’aventure j’espère !

Je cherche d’autres moyens de parler d’art. Raconter des histoires, partager ma passion et tenter de la transmettre, mais aussi utiliser l’art pour mener les combats qui me sont chers. 

Peux-tu m’expliquer un peu ton parcours ?

J’ai un master de l’école du Louvre. J’ai travaillé quatre ans dans l’art contemporain, en galerie et dans une foire. J’ai ensuite traversé une grosse remise en question professionnelle, je ne me sentais pas alignée avec mes valeurs et j’avais l’impression de me rapetisser.

Alors je suis allée voir ailleurs, je voulais explorer la puissance du digital et apprendre les techniques de communication, mais aussi découvrir d’autres environnements de travail. J’ai donc fait de la communication digitale, chez BlaBlaCar, puis dans une agence d’architecture.

Pendant les deux dernières années j’ai travaillé en freelance, j’ai accompagné des entreprises dans leur stratégie digitale et leur production de contenu. Je savais que je finirais par revenir à l’art, mais je voulais que ce soit en mes termes. Grâce à mes vidéos ma « carrière » prend encore un nouveau tournant ! Je suis hyper excitée de découvrir la suite et ravie de ne pas du tout savoir où je serai et ce que je ferai dans 1 an !

J’ai vu que tu avais fait l’école du Louvre ? Est-ce que tu peux revenir un peu plus en détail sur cette partie de ton cursus ? Qu’est-ce que tu en as tiré comme enseignement ?

J’ai uniquement fait mon master à l’Ecole du Louvre, du coup je ne pourrais pas parler de la licence, qui est apparemment très intense mais très réputée.

Pour ce qui est du Master, j’ai été un peu déçue je dois dire. J’avais de grandes attentes et je n’ai pas l’impression d’avoir énormément appris, surtout dans la spécialité « marché de l’art ». J’ai été déçue de ne pas pouvoir explorer les sujets sur lesquels je voulais faire des recherches en 4e année, même si ma directrice de mémoire m’a appris la rigueur de la recherche – c’est ce que j’ai appris de plus précieux. En 5e année j’ai dû pas mal lutter pour réussir à écrire un mémoire sur un sujet que je désirais vraiment explorer. J’ai passé un an à étudier la réception des œuvres d’artistes africains et issus de la diaspora et ça a changé ma vie. J’ai découvert les études post-coloniales et commencé à tout déconstruire, y compris l’éducation que j’ai reçue !

En 5 ans d’études d’histoire de l’art je n’ai étudié aucune artiste femme, et quasi aucun artiste extra-occidental. J’ai fait des études d’histoire de l’art blanc, bourgeois et masculin en fait ! Ceci dit le monde de l’art est un milieu où il y a beaucoup d’appelé•e•s et peu d’élu•e•s, donc si je dois donner un conseil à des jeunes étudiant•e•s, ce serait de viser gros, d’avoir de l’ambition et de tout faire pour avoir sur son CV les meilleures écoles et les meilleurs stages. Quitte à ensuite revenir à de plus petites structures si c’est ce que vous souhaitez. Moi je me suis trop restreinte, j’ai eu peur de ne pas être à la hauteur et de prendre des risques et je le regrette aujourd’hui !

Quel est ton rapport à l’art contemporain en général ? Que penses-tu du marché de l’art aujourd’hui ?

L’art pour moi c’est toujours un reflet de l’état du monde, du goût et des enjeux à une époque donnée. Il y a énormément de choses qui me dégoûtent ou m’indiffèrent dans la création contemporaine, mais aussi beaucoup qui me donnent un sentiment d’expansion – qui m’excitent, font avancer mes réflexions, m’ouvrent à de nouvelles questions ou au contraire m’apaisent et me procurent un peu de douceur. Et puis même quand je déteste une œuvre, c’est toujours très intéressant d’essayer de comprendre pourquoi elle a du succès. J’adore Koons, non pas pour son œuvre mais pour ce que son succès dit de notre société.

Pour ce qui est du marché, je pourrais écrire un roman à ce sujet. Un des plus grands dangers je crois, c’est qu’il soit dirigé par quelques hommes qui de part leur puissance financière et leur implication à la fois dans les comités des musées et dans les maisons de vente, puissent faire et défaire des carrières selon leurs intérêts, principalement financiers.

Est-ce qu’il y a un courant artistique auquel tu es particulièrement sensible ? Et pourquoi ?

Je suis particulièrement sensible à l’expressionnisme abstrait, en partie parce que je ne peux pas expliquer pourquoi je suis aussi touchée par ces œuvres. Ça rend l’art complètement magique de ne pas pouvoir l’exprimer en mots.

Note de Pepper : Si l’expressionisme abstrait reste une notion vague pour vous, les noms de Jackson Pollock ou encore de Mark Rothko feront peut-être écho en vous. Maintenant, si vous êtes des êtres vraiment exceptionnels, vous irez regarder la vidéo de Margaux sur Helen Frankenthaler, qui était une femme artiste de ce mouvement.

J’ai également vu que tu étais spécialisée dans la communication digitale. Quel lien est-ce que ça a avec le milieu artistique aujourd’hui selon toi ? Est-ce que ça s’est renforcé depuis le confinement ? 

Je pense que le digital, et particulièrement Instagram, est une opportunité unique pour les artistes. Un moyen de réinventer le monde de l’art de façon plus saine, collaborative et juste, de redonner beaucoup de pouvoir aux artistes sur leur destinée et de voir émerger d’autres voix.

Je pense qu’il ne faut pas considérer Instagram comme un simple outil de communication – une jolie vitrine. C’est véritablement un moyen d’expression, de transmission. C’est une façon de découvrir des personnes extraordinaires, d’entrer en contact avec elles, d’engager des discussions – plein -, de se nourrir et de nourrir les autres. Il est nécessaire de soutenir les gens qu’on admire sur Instagram, de faire porter leur voix, d’expliquer pourquoi on est touché par leur travail.

Il faut oublier la notion de compétition et collaborer, s’entraider, inventer ensemble de nouvelles façons de montrer son travail et celui des autres. 

Si tu devais donner un conseil aux musées aujourd’hui, lequel serait-ce ?

De ne pas oublier leur pouvoir et de toujours se souvenir de que disait ce grand sage qu’est l’oncle de Spider-man : avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités. Ils ne sont pas des passeurs de culture mais ils créent la culture en choisissant ce qu’ils montrent et comment ils le montrent. Le pouvoir des musées est sous-exploité, ils pourraient bien plus largement contribuer à changer le monde.

Tu postes le portrait d’une artiste femme toutes les semaines sur ton compte instagram, comment est né ce projet ? est-ce que tu peux m’en parler ? d’où t’es venue cette idée ?

J’avais l’idée de faire des vidéos sur l’art depuis des années mais il m’a fallu beaucoup de temps pour passer le pas. J’avais peur de ne pas trouver le bon ton, de n’intéresser personne, de m’exposer, d’échouer.

En tant que freelance j’ai perdu plusieurs missions au début du confinement et il me fallait d’urgence un projet pour ne pas sombrer dans l’angoisse. Je me suis donc lancée sans vraiment réfléchir ni me mettre une énorme pression, sans trop en parler à mes proches en me disant qu’au pire personne ne regarderait et que je pourrais supprimer la vidéo si finalement j’en avais honte. Je ne pensais pas que ça allait autant marcher, que j’allais avoir des retours aussi enthousiastes et même émouvants. Ça m’a portée, ça m’a donné une force incroyable, une confiance nouvelle et l’envie de soulever des montagnes !

Je crois aussi que j’avais vraiment quelque chose à dire et que je ressentais une urgence à m’impliquer. J’ai mis très longtemps à réaliser l’importance du féminisme et l’ampleur des injustices dont les femmes sont victimes. Il y a eu un déclic quand j’ai commencé à écouter des podcasts comme La Poudre, Un podcast à soi ou Les couilles sur la table.

Je ne sais plus où je l’ai entendu, mais il y avait un parallèle très juste dans un de ces podcasts : Les violences sexistes c’est comme les chewing-gums par terre dans la rue. On ne les voit pas, mais quand on en remarque finalement un alors tout à coup on réalise que la rue en est couverte, qu’ils sont partout.

C’est quand j’ai commencé à m’intéresser au féminisme de façon plus intense – donc des années après avoir fini mes études – que je me suis rendue compte que je n’avais jamais étudié une seule artiste femme. Ça a été un grand choc et une prise de conscience : comment est-ce que j’avais pu ne jamais m’en rendre compte avant ? Puis je me suis dit que c’était peut être parce qu’il n’y avait jamais eu de grandes artistes femmes. J’ai commencé mes recherches et là j’ai découvert des dizaines et des dizaines d’artistes incroyables, mais aussi des dizaines et des dizaines d’histoires révoltantes.

J’ai compris à quel point j’avais internalisé le sexisme et qu’il allait falloir me déconstruire et reconstruire ma culture. Rapidement j’ai aussi eu envie que tout le monde connaisse ces histoires et ces œuvres, et de contribuer à ça. Il m’a juste fallu encore quelques années pour avoir le courage de me lancer avec ces vidéos.

Qu’est-ce que ce projet représente pour toi ? Est-ce que tu sais déjà si tu veux aboutir sur autre chose grâce à ce projet ?

Ce projet prend une ampleur complètement dingue grâce aux partages hyper enthousiastes de ceux qui regardent les vidéos ! C’est grâce à ça – au soutien incroyable de ceux qui me suivent – que ça a vite décollé.

Ma vie est en train de totalement changer grâce à ces vidéos et grâce à ce soutien et cet amour que je reçois. Donc oui, il y a de sacrés projets qui arrivent !

Comment se passe la construction d’un épisode ? Quelles sont les différentes étapes à suivre pour le créer ? Et quel temps prend chacune des étapes ?

Alors !

Je choisis un thème que j’ai envie d’explorer à travers 3 portraits et je commence des recherches pour réunir trois artistes dont les œuvres et les vies permettent de construire une histoire sur ce thème.

Ensuite je plonge dans les recherches pendant un jour 1/2 – 2 jours et j’écris le script, entièrement, mot pour mot, sinon je sais que je vais m’embarquer dans des digressions infinies et me retrouver avec 1h20 de rushes que je dois ensuite ramener à 10 minutes… C’est ma partie préférée : apprendre, découvrir puis construire le récit.

Je tourne assise sur mon lit, mon portable posé sur une pile de livre devant moi. Je monte la vidéo sur mon téléphone portable et je me rends compte que c’est trop long, que j’ai dit des conneries, que j’ai une tête horrible et des tics de langage insupportable. Je désespère, je galère et ça me prend entre 4 et 6h. A la fin, je suis toujours épuisée mais très très contente et parfois un peu fière.

Ensuite je dois retranscrire et sous-titrer, ce qui est long, pénible et me convainc que finalement j’ai fait de la merde. Puis je termine et là je suis méga fière d’avoir réussi à fournir une nouvelle vidéo, d’avoir tenu une semaine de plus, d’être allée jusqu’au bout même si je ne rendais compte au fur et à mesure que ce ne serait pas aussi bien que ce que je voulais. En tout chaque vidéo me prend 3 jours. 

Comment décides-tu quelle artiste tu vas choisir de présenter ? Est-ce qu’il y a une artiste que tu as préférée ?

Je décide de chaque thème en fonction de ce que j’ai envie de creuser à ce moment là. Je fais aussi attention à ne pas parler que de femmes blanches, issues de milieux privilégiés, hétérosexuelles et occidentales.

Le féminisme c’est important, mais je pense qu’il n’a plus de sens aujourd’hui si il n’est pas à l’intersection de plusieurs luttes. Mais je suis loin d’être parfaite sur ce point. Je n’ai encore jamais parlé d’artistes arabes ni sud-américaines par exemple.

Je crois que ma vidéo préférée c’était Zanele Muholi. J’aimais déjà beaucoup ses œuvres, mais je n’avais pas réalisé la richesse, la profondeur et l’importance de sa démarche. J’étais en transe pendant toutes les recherches.

Qu’est-ce qui t’inspire ?

Ce que j’aime le plus, c’est le sentiment d’expansion. De me sentir grandir, de voir mon horizon s’élargir. Je lis beaucoup de romans, en essayant de privilégier les auteurs qui vont m’apporter un nouveau regard. J’écoute beaucoup de podcasts, je regarde beaucoup de vidéos YouTube, sur des thèmes très variés et pas toujours très intellos.

Instagram m’inspire beaucoup aussi, j’y ai découvert énormément d’artistes, de militant•e•s passionnant•e•s et de beauté. C’est en voyage que je fais le plus de musées et d’expos et que j’ai généralement de nouvelles idées. J’ai aussi compris que plus je fais de choses, plus j’ai envie de faire de choses, plus j’ai de nouvelles idées et plus j’ai d’énergie. Il faut juste se lancer.

Y-a-t-il un artiste/compte/expo/podcast/film/quelque-chose-de-culturel que tu as aimé récemment et que tu recommandes ?

Je voudrais mettre en avant le travail de filles qui font un boulot génial pour faire avancer les choses en histoire de l’art et dans l’art contemporain :

***

Encore un immense merci à Margaux pour toutes ces réponses ! J’espère vous avoir donné envie de vous intéresser à l’art, aux femmes artistes, au féminisme, au monde dans lequel nous vivons et à un sacré paquet d’autres choses de l’ordre du sensible à travers elle.

Vous pouvez retrouver son travail sur Instagram : @margauxbrugvin

Quant à nous, on se retrouve en commentaires, sur Instagram et bientôt pour un prochain article.

3 réponses à “Parler de femmes et d’art, avec Margaux Brugvin”

  1. Merci beaucoup Eloïse pour ce super article où j’ai encore appris plein de nouvelles choses sur le parcours de Margaux Brugvin que je suis depuis des mois sur Instagram et que j’adore ! Son travail, pour plus de visibilité pour les femmes artistes, est juste fantastique… et les lignes commencent à bouger ! Youpi! 😉

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